Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/229

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trop sensible. Le suprasensible du mathématicien est juste le contraire du suprasensible de l’homme à l’état de nature. Là où ce dernier admet des forces suprasensibles, il pense à un dieu, à un fantôme ou à un être personnel quelconque, c’est-à-dire en réalité aussi sensible qu’on peut se le figurer. La matière personnifiée est déjà beaucoup trop abstraite pour l’homme à l’état de nature ; voilà pourquoi son imagination se représente à côté encore une personne « suprasensible ». Le mathématicien pourra bien aussi, avant de poser son équation, se représenter les forces comme assez semblables à des forces humaines, mais il ne courra jamais le danger de faire entrer dans ses calculs un facteur faux. Une fois l’équation posée, toute image sensible cesse de jouer un rôle quelconque. La force n’est plus la cause du mouvement et la matière n’est plus la cause de la force ; il n’y a plus alors qu’un corps en mouvement et la force est une fonction du mouvement.

On peut ainsi mettre du moins de l’ordre dans ces idées et en obtenir une vue d’ensemble, sans parvenir toutefois à une explication complète de la force et de la matière. Qu’il nous suffise de pouvoir démontrer que nos catégories doivent y jouer un rôle. Nul ne doit avoir la prétention de voir sa propre rétine !

Il est donc facile de comprendre pourquoi Du Bois-Reymond ne dépasse pas l’opposition entre la forceet la matière ; nous allons citer en conséquence le passage omis par Moleschott comme un spécimen de l’habileté avec laquelle le célèbre investigateur s’éloigne de la suffisance dogmatique des matérialistes :

« Si l’on se demande ce qui reste donc, lorsque ni les forces ni la matière ne possèdent la réalité, voici ce que répondent ceux qui se placent au même point de vue que moi. Il n’est pas donné, une fois pour toutes, à l’esprit humain de franchir, dans ces questions, une contradiction finale. Au lieu par conséquent de tourner dans un cercle de