Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/40

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tivement comme l’image, déterminée par les sens, d’un groupe d’objets, quand ce ne seraient que nos doigts, nos boutons ou les boules d’une machine à calculer. Ici l’on peut citer, comme preuve complète de la nature synthétique des idées de nombres, la méthode de calculer et les termes numériques des peuples sauvages et de ceux dont la culture commence. On retrouve partout, comme base, l’image sensible du groupe ou de la position des doigts à l’aide de laquelle on s’est figuré le nombre (18). Mais si l’on part avec Stuart Mill de l’idée que tous les nombres sont « des nombres de quelque chose », et que les objets, dont le nombre est énoncé, font, par leur multitude, une impression déterminée sur nos sens, on ne peut douter de la nature synthétique d’une opération, qui réunit, soit en réalité, soit en imagination, deux groupes semblables d’objets homogènes. Mill, fidèle à son principe, montre donc aussi qu’on doit à l’expérience la connaissance de trois objets qui, groupés ensemble, donnent encore le même total, quand on écarte un peu l’un des trois, de telle sorte que la somme semble maintenant partagée en deux parties, comme par exemple 2 + 1 (19). Kant est bien éloigné de vouloir rejeter cette sorte d’ « expérience » car, pour démontrer la proposition 7 + 5 = 12, il permet de recourir à l’intuition s’appliquant sur les cinq doigts ou même sur des points. Kant a seulement approfondi davantage la « propriété remarquable », pareillement observée par Mill, des propositions qui concernent les nombres, « ces propositions concernent toutes les choses, tous les objets, toutes les existences quelconques, dont notre expérience a connaissance » ; la démonstration relative à une seule classe d’objets suffit pour nous convaincre qu’il doit en être de même en général pour tout ce qui se manifeste à nos sens. Mais ceci rentre dans l’objection précédente ; ici nous n’avons affaire qu’à la nature synthétique des idées de nombre et, sur le point principal, Mill paraît être entièrement du même avis que Kant (20).