Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/449

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de la fixité il leur sera encore plus difficile de voir dans leur propre corps, pour eux le prototype de toute réalité, un simple schéma de représentation, un produit de notre appareil optique, qui doit être distingué d’avec l’objet provoquant ce schéma aussi bien que toute autre image représentative.

Le corps ne serait qu’une image optique ! — On ne peut plus répondre à cela : « Sans doute, puisque nous le voyons » ; mais on peut dire : « Nous avons le sentiment immédiat de notre réalité ». « À bas les spéculations oiseuses ! Qui me contestera que ceci soit ma main, que je remue par ma volonté et dont les sensations parviennent si directement à ma conscience ? »

On peut continuer à volonté ces exclamations du préjugé naturel. Mais la réponse décisive n’est pas loin. Il faut en effet que dans chaque cas nos sensations se confondent d’abord avec l’image optique, soit que l’on avoue que l’image du corps n’est pas le corps lui-même, soit que l’on s’attache à l’idée naïve de son identité avec l’objet. L’aveugle-né, à qui on donne la vue par une opération, est réduit à commencer par apprendre la concordance de ses sensations de la vision avec les sensations du toucher. Nous n’avons ici besoin que d’une association d’idées, laquelle doit, dans tous les cas, nous donner le même résultat, que l’on pense ce que l’on voudra de la réalité du corps représenté.

Müller lui-même n’arriva pas, comme nous l’avons déjà dit à la clarté parfaite, et nous sommes porté à croire que l’obstacle qu’il rencontra encore sur sa route fut précisément la philosophie de la nature avec ses concepts fantaisistes de sujet et d’objet, du moi et du monde extérieur. Au lieu de cela, on attribua naturellement à la philosophie cette remarque exacte, à cause de son paradoxe colossal. On peut aujourd’hui entendre déclarer, de bien des côtés, que l’écrit du célèbre physiologiste Müller sur la physiologie du sens de la vue (1826) n’était qu’un travail superficiel, un travail