Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/489

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toute l’essence de ce progrès consiste à sacrifier le moi à l’intérêt, général ?

La réponse à cette question nous met immédiatement devant les yeux les conséquences de la théorie économique la plus répandue.

Est-il vrai, en effet, que les intérêts de la société soient sauvegardés le mieux, alors qu’on veille avec le moins de sollicitude aux intérêts de cette même société, alors que les individus peuvent, sans le moindre obstacle, poursuivre leurs intérêts personnels ? S’il en était ainsi, la poursuite exclusive des intérêts personnels dans la vie pratique serait :

1° Le fruit d’une prudence mûrie par le temps ;

2° Une vertu, et même la vertu cardinale.

Refouler les instincts qui nous portent à agir, à nous dévouer pour le prochain, constituera la partie essentielle de la victoire sur soi-même, et la force, nécessaire pour cette victoire sur soi-même, l’homme qui entrera dans la lutte, la trouvera en considérant le mécanisme du grand Tout, dont l’harmonie serait troublée, si nous suivions les élans du cœur que l’on avait coutume de louer jadis comme des actes nobles, désintéressés, magnanimes. Ces élans de la sympathie, qui naissent lorsque l’âme se donne tout entière à l’objet, sont remplacés à leur tour par la préoccupation de l’âme qui se donne tout entière à l’objet plus grand, au mécanisme de l’ensemble du monde humain, mécanisme animé par l’égoïsme harmonique.

La question une fois posée nettement, on comprendra que la réponse n’est pas trop facile. Qui ne se rappelle ici avoir souvent à regret éconduit un mendiant, parce qu’il sait que l’aumône entretient la misère, comme l’huile entretient la flamme ? Qui ne se rappelle tous ces funestes essais tendant à fonder le bonheur et qui n’ont abouti qu’à ravager le monde par le fer et le feu, tandis que chez les peuples, où chacun ne se préoccupait que de soi-même, se développaient la richesse et le bien-être ? En réalité, on doit avouer sur-le-