Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/53

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est en nous a priori, et il a rendu à la science un service immortel, en prouvant, par ce premier et grand exemple, que précisément la connaissance que nous possédons a priori, par le motif même qu’elle dérive de la nature de notre esprit, n’a plus aucune valeur au-delà de notre expérience.

Quant au matérialisme, il prend le temps et l’espace de même qu’en général tout le monde sensible simplement comme objectifs. En s’éloignant de ce point de vue, comme le fait par exemple quelquefois Moleschott, on s’écarte du système matérialiste. C’est justement à propos du temps et de l’espace que le matérialisme se sent le plus d’assurance en face de la critique de Kant ; car ici non-seulement nous avons la conscience que nous ne pouvons concevoir des limites au temps et à l’espace, ou une intuition qui n’ait aucun lien la rattachant à l’espace et au temps ; mais, même dans la plus haute abstraction de la pensée, où toute intuition est évidemment impossible, nous persistons à regarder comme vraisemblable qu’entre différents êtres, à organisation animale, la compréhension de l’espace et du temps peut tout au plus varier de degré, mais que ces formes elles-mêmes appartiennent, d’après leur essence intime, à toute compréhension possible, précisément parce qu’elles sont fondées sur la nature des choses. Kant voulait faire davantage ; mais, en poursuivant le plus, il a réalisé le moins. Il a fourni de solides raisons de douter si le temps et l’espace en dehors de l’expérience d’êtres finis pensants signifient encore quelque chose ; et, loin de quitter ces limites et de s’égarer par des spéculations métaphysiques dans les régions ultra-sensibles et inexplorées de l’ « être absolu », il a ébranlé la naïveté primitive de la foi des sens, sur laquelle est fondé le matérialisme, plus fortement que n’a jamais pu le faire un système d’idéalisme matériel. Car dès que l’idéalisme matériel nous étale ses idées comme la véritable réalité, la conscience logique du penseur judicieux s’éveille ; et nous ne sommes alors que trop portés à repousser en même temps,