Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/545

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matérialistes contre l’opinion qui, par matérialisme, n’entend que la « recherche des plaisirs sensuels ». Le débordement des passions sensuelles est avant tout affaire de tempérament et d’éducation ; au fond, il est inconciliable avec quelque point de vue philosophique que ce soit ; en fait, il est très-bien conciliable. Même lorsque le plaisir du moment est érigé en principe, comme chez Aristippe ou chez de la Mettrie, l’empire sur soi-même reste encore une condition exigée par la philosophie, ne fût-ce que pour assurer la durée à la capacité de jouir ; par contre, précisément lorsqu’une philosophie proclame des principes éminemment ascétiques, ses adhérents se jettent assez souvent dans les jouissances sensuelles, soit en violant ouvertement leurs propres maximes, soit en s’égarant dans les détours sinueux de l’illusion involontaire.

Nous avons vu, dans le premier chapitre de cette partie, que l’amour des jouissances ne peut pas même être considéré comme un trait caractéristique de notre époque ; c’est bien plutôt la préoccupation impitoyable des intérêts individuels, surtout lorsqu’il s’agit de gagner de l’argent. Or le principe de la préoccupation exclusive des intérêts individuels, dans lequel nous avons reconnu l’essence du matérialisme moral, se trouve sans doute assez souvent combiné avec le matérialisme théorique ainsi chez Büchner, dans la première édition de Force et Matière ; bien plus souvent encore chez les matérialistes qui n’écrivent pas de livres (21).

On ne peut prononcer sur la relation du matérialisme moral et du matérialisme théorique ni par l’examen historique, ni par la comparaison des témoignages contemporains. Il faut, pour décider la question, rechercher si un principe moral peut se fonder, conformément à la nature, d’après les opinions du matérialisme théorique, ou bien au contraire si le matérialisme théorique peut encore se concilier avec un principe moral donné. Or nous avons déjà trouvé que d’une conception rigoureusement matérialiste de l’univers, on peut