Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/586

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force nouvelle par la conviction que notre réalité elle-même n’est pas une réalité absolue, mais un phénomène, d’une part forçant l’individu et rectifiant ses combinaisons accidentelles, d’autre part formant pour le genre un produit nécessaire de ses dispositions, en concours avec des facteurs inconnus. Nous nous représentons ces facteurs inconnus comme des choses qui existent indépendamment de nous et qui posséderaient en conséquence cette réalité absolue que nous venons de déclarer impossible. Toutefois cette impossibilité persiste, car, déjà dans l’idée de la chose, détachée comme unité de l’enchaînement infini de l’être, gît ce facteur subjectif qui est tout à fait à sa place comme élément de notre réalité humaine, mais qui, au-delà, n’aide qu’à combler, d’après l’analogie de notre réalité, la lacune pour ce qui est absolument insaisissable et doit pourtant nécessairement être admis.

Kant a rejeté les efforts de la métaphysique qui cherche les véritables fondements de tout être, à cause de l’impossibilité d’une solution certaine, et il a limité la tâche de cette science à la découverte de tous les éléments de l’expérience donnés a priori. Mais on peut se demander si cette nouvelle tâche n’est pas impraticable, elle aussi ; on peut encore se demander si l’homme, en vertu du penchant naturel vers la métaphysique, reconnu par Kant lui-même, n’essaiera pas toujours à nouveau de renverser les limites de la connaissance et de bâtir en l’air les systèmes miroitants d’une prétendue connaissance de l’essence absolue des choses. Car les sophismes, qui facilitent cette tentative, sont inépuisables, et pendant que ces sophismes tournent habilement la position de la critique, une ingénieuse ignorance surmonte tous les obstacles avec un succès plus éclatant que jamais.

Une chose est certaine, c’est que l’homme a besoin de compléter la réalité par un monde idéal, qu’il crée lui-même et qu’à ces créations concourent les plus hautes et les plus nobles fonctions de son intelligence. Mais faut-il que