Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/612

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vation. »). Les deux mots « suggests » et « prove » imprimés en italiques ne se trouvent pas chez Whewell dans ce sens et dans cette connexion. En opposant ainsi l’intuition à la démonstration, on sous-entend déjà la méthode superficielle des empiriques, pour qui « l’expérience » est quelque chose d’achevé, se posant à l’encontre de l’intelligence passive presque sous la forme d’un être personnel. D’après Whewell, dans chaque connaissance agit un élément formel, actif et subjectif qu’il nomme « idée » (chez Kant, la « forme ») de concert avec un élément matériel, passif et objectif, la « sensation » (d’après Kant la « sensation » ou les « phases diverses de la « sensation »). Il se comprend de soi-même que dans la première connaissance d’une vérité axiomatique concourent deux facteurs qui ne peuvent d’ailleurs être séparés que par la pensée, comme la forme et la matière dans un dé à jouer en ivoire. Il ne peut donc être question d’une concession suivant laquelle « l’expérience » indiquerait l’axiome sans cet élément formel, mais plutôt seulement du fait que cet élément agit de concert avec un élément extérieur et objectif. L’intuition dans la vérité d’un axiome ne peut pas davantage, comme facteur démonstratif, être séparée de l’élément sensoriel. Si donc l’on parle de l’organisation de l’esprit (constitution of the mind), il ne faut pas appliquer cette expression, comme ferait Platon, à une « conception intellectuelle », mais à la forme de ce même élément sensoriel, par laquelle nous recevons en général les impressions du dehors et par suite l’expérience. Whewell[1] dit très-clairement sous ce rapport : « The axioms require not to be granted, but to be seen. If any one were to assent to them without seeing them to be true, bis assent would be of no avail for purposes of reasoning for he would be also unable to see in what cases they might be applied. » (« Les axiomes ne veulent pas être accordés, mais être vus. Si quelqu’un devait leur donner son assentiment sans voir leur vérité, cet assentiment ne serait d’aucune importance en logique ; car on ne saurait voir dans quels cas ces axiomes devraient être appliqués »). Plus loin dans le même chapitre § 5 : « Intuition is imaginary looking[2] but experience must be real looking : if we see a property of straight lines to be true by merely fancying ourselves to be looking at them, the ground of our belief cannot be the senses, or expérience ; it must be something mental. » (« L’intuition est une vue imaginaire », mais l’expérience doit être une vue réelle ; si nous voyons qu’une propriété des lignes droites est vraie, en nous bornant à nous figurer que nous les regardons, le fondement de notre opinion ne peut être ni dans les sens ni dans l’expé-

  1. Philosophy of the inductive sciences, I, p.92.
  2. Philosophy of the inductive sciences, I, p. 130.