Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/693

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lité. Au reste, Smith ne s’est nullement occupé de cette question méthodologique. Bien plus, on peut déjà lire entre les lignes de sa Théorie morale qu’au fond les actes humains sont égoïstes et modifiés uniquement par l’influence de la sympathie. Dans la Richesse des nations, le domaine cultivé par Smith est tel que, d’après son opinion, les effets directs de la sympathie sont équivalents à zéro et que seuls sont pris en considération les effets indirects, c’est-à-dire la protection du droit par l’État. Comparez par exemple renonciation suivante[1] : « In the race for wealth and honours, and preferments, he may run as hard as he can, and strain every nerve and every muscle, in order to outstrip all his competitors. But if he should justle, or throw down any of them, the indulgence of the spectators is entirely at an end. » (Dans la carrière de la richesse, des honneurs et des dignités, il pourra courir de toute la vitesse dont il est capable, tendre tous ses nerfs et tous ses muscles, dans le but de dépasser ses compétiteurs, mais s’il en heurtait ou renversait un, l’indulgence des spectateurs serait épuisée.) Cela s’accorde très-bien avec la pensée que, dans la poursuite de la richesse par tous les individus, pourvu qu% le droit soit protégé, l’humanité se rapproche en même temps du but de la richesse. Le malaise social qui résulte de cette poursuite acharnée de tous vers la fortune, Smith ne l’a pas connu dans toute son étendue (à laquelle n’a pas peu contribué sa propre théorie), et, autant qu’il l’a connu, il l’a tenu pour irrémédiable. Il ne trouvait pas de forme de sympathie qui put lutter avec succès contre ce malaise ; aussi n’avait-il rien à ajouter sur la sympathie dans cette section de son ouvrage politique et social. Si nous possédions l’ouvrage complet, nous trouverions peut-être la question traitée différemment dans d’autres sections.

2 [page 468]. On peut partager en deux classes la grande masse des économistes allemands, d’après leurs tendances et la manière dont ils ont appliqué la méthode scientifique ceux qui rendent hommage à la déduction, sans savoir qu’elfe est fondée sur l’abstraction, et ceux qui, évitant l’abstraction, veulent prendre la réalité pour point de départ, mais ne savent pas manier la méthode inductive. Lexis fait sur ce point une honorable exception, car sous tous les rapports, depuis les éléments de la logique jusqu’à la démonstration mathématique, il prouve qu’il est un maître dans la méthode scientifique. Le peu d’attention accordée jusqu’ici à son ouvrage classique Ueber die französischen Ausfuhrprämien (Bonn, 1870) est une des preuves les plus significatives du peu de profondeur de nos économistes, aussi bien de l’école du « libre échange » que de celle des « socialistes professeurs Lexis re-

  1. Théorie morale, IIe part., sect. 2, chap. II.