Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/78

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de netteté et d’énergie la voix intérieure qui lui intime des ordres absolus. Or l’idée du devoir qui nous crie : Il faut que tu obéisses, ne peut rester claire et impérieuse, si elle n’est accompagnée de l’idée de la possibilité de réaliser cet ordre. Voilà pourquoi nous devons, en ce qui concerne la moralité de nos actes, nous transporter entièrement dans le monde intelligible, le seul où l’on puisse se figurer la liberté (42).

Jusqu’ici la théorie de la liberté, chez Kant, est parfaitement claire ; elle est inattaquable, si l’on fait abstraction de la question de l’apriorité de la loi morale. Mais il faut encore à ce philosophe un lien, qui doit donner à la théorie de la liberté une plus grande certitude, et rattacher l’une à l’autre la philosophie pratique et la philosophie théorique. En établissant ce lien, Kant donne à sa théorie de la liberté un arrière-fond mystique, qui semble favorable à l’élan moral de l’esprit, mais qui en même temps efface d’une manière fâcheuse cette théorie pure et sévère de la corrélation du monde des phénomènes avec le monde des choses en soi, telle que nous venons de l’exposer ; ainsi le système entier se trouve ébranlé.

Ce lien est la pensée suivante : pour rendre un hommage pratique à la théorie de la liberté, nous devons au moins l’admettre en théorie comme possible, bien que nous ne puissions discerner le mode et la nature de sa possibilité.

Cette possibilité demandée repose sur l’idée des choses en soi par opposition aux phénomènes. Si les phénomènes étaient, comme le veut le matérialisme, les choses en soi elles-mêmes, il serait impossible de sauver la liberté. Kant ne se contente pas de la simple idée de la liberté, entendue dans le même rapport avec les phénomènes que l’idée avec la réalité, la poésie avec l’histoire. Kant va jusqu’à dire « L’homme serait une marionnette, un automate de Vaucanson, fabriqué et élevé par le maître suprême de toutes les œuvres d’art », et la conscience de la liberté serait une simple illusion, si les actes de l’homme n’étaient pas de