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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

L’expérience est simple. Elle consiste à prendre un faisceau lumineux horizontal et à le partager en deux faisceaux horizontaux perpendiculaires au moyen d’une lame transparente inclinée à 45° sur sa direction de propagation. La lumière incidente en partie se réfléchit et en partie traverse la lame. Le faisceau réfléchi va sur un miroir qui lui est perpendiculaire, s’y réfléchit à nouveau et revient traverser la lame inclinée à 45° pour tomber dans une lunette. L’autre faisceau, qui avait traversé la lame, se réfléchira sur un autre miroir, reviendra sur la lame, et, se réfléchissant en partie, viendra interférer, se superposer dans la lunette avec le premier faisceau.

On règle les miroirs de manière à avoir dans la lunette ce qu’on appelle la frange centrale d’interférence sur la croisée des fils du réticule, ce qui nous assure que les deux faisceaux ont mis le même temps pour effectuer leur parcours. Nous avons ainsi un moyen très précis, en faisant interférer les deux faisceaux, de nous rendre compte si la durée de propagation aller et retour dans les deux directions est ou non la même. Réglons la position des miroirs pour qu’elle le soit. Si la vitesse n’était pas la même dans les deux directions, il est évident que les distances auxquelles les miroirs se trouvent de la lame à 45° devraient être différentes. Si la lumière allait plus vite dans une direction que dans l’autre, un des miroirs devrait être plus éloigné de la lame que l’autre. Je suppose que nous ayons ainsi réalisé l’égalité des temps. Puis nous faisons tourner de 90° tout le système en substituant la distance la plus longue à la plus courte et réciproquement, c’est maintenant la distance la plus longue qui va être dans la direction où la vitesse est la plus petite, tandis que c’est la distance la plus courte qui va être dans la direction où la vitesse est la plus grande. Par conséquent, l’égalité des temps employés par la lumière pour parcourir ces deux distances doit disparaître si les vitesses ne sont pas les mêmes dans ces directions. Or, on peut, en faisant tourner progressivement le système, constater qu’il n’y a aucun changement, que toutes les directions se valent, et que la vitesse de propagation est exactement la même dans toutes les directions.

Nous vérifions par là une conséquence de la théorie électromagnétique. J’insiste sur ce point que ce phénomène de propagation isotrope de la lumière est conforme aux théories électromagnétiques de Maxwell et Lorentz telles qu’elles se sont imposées par tout l’ensemble des expériences électromagnétiques. L’expérience de Michelson n’est pas une expérience isolée sur laquelle on a ensuite bâti tout un système un peu en l’air ; elle n’est pour ainsi dire qu’une vérification extrêmement précise des conséquences d’une théorie, la théorie électromagnétique, basée, comme je l’ai dit, sur tout l’ensemble des phénomènes électromagnétiques. C’est donc une base solide.

Si on reprend cette expérience de Michelson à toutes les époques de l’année, on constate qu’elle donne toujours les mêmes résultats, aussi bien maintenant que dans six mois, alors qu’à ce moment la vitesse de la terre par rapport a notre position actuelle sera de 60 kilomètres par seconde : la lumière se propage toujours avec la même vitesse dans toutes les directions.

Si l’on envisage cela au point de vue de l’ancienne cinématique, c’est absurde, parce que cela nous conduit à dire que si nous prenons une onde lumineuse qui va se propager avec une vitesse indépendante de la direction, elle sera toujours de 300 000 kilomètres par seconde, qu’elle soit observée par un observateur lié à la Terre, ou qu’elle le soit par un observateur ayant par rapport à nous une vitesse de 60 kilomètres par seconde dans la direction de propagation de l’onde. Dans l’ancienne cinématique, elle devrait avoir une vitesse de 300 000 plus ou moins 60 kilomètres par seconde, suivant le sens.

Eh bien, c’est déconcertant. Cela a beaucoup troublé les physiciens, et l’on a essayé d’y remédier en introduisant ce qu’on a appelé la contraction de Lorentz en admettant que les dimensions d’un système matériel en mouvement comme celui de Michelson avaient cette propriété curieuse de changer de longueur quand on changeait leur direction.

C’est une interprétation qui semblait a priori assez compliquée, jusqu’à ce que Lorentz ait montré qu’elle s’accordait en somme assez bien avec la structure même de la théorie électromagnétique.

Mais cette contraction de Lorentz ne suffisait pas à expliquer complètement pour tous les phénomènes électromagnétiques et optiques, l’absence d’influence d’un mouvement de translation d’ensemble. Si on conserve la notion du temps absolu, si on suppose que l’intervalle de temps entre deux événements est mesuré de la même manière par des observateurs en translation uniforme les uns par rapport aux autres, il est impossible de mettre la théorie d’accord avec le fait expérimental traduit par le principe de relativité et de faire en sorte que les lois de l’électromagnétisme exprimées par les équations de Maxwell-Lorentz, se présentent sous la même forme