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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

l’ordre d’un milliard d’années de lumière, ce qui fait :

1 milliard × 365 jours × 24 heures × 3 600 secondes × 300 000 kilomètres.

Il est incontestable que cette évaluation n’introduit aucune gêne dans notre existence. Nous n’avons pas à craindre de crise du logement dans un tel espace, nous sommes bien tranquilles. En même temps, nous sommes bien chez nous ; nous avons, en effet, un univers dont nous pouvons concevoir les limites, alors que l’infinitude est quelque chose d’assez déconcertant.

Je me rappelle, étant enfant, avoir essayé vainement de m’imaginer ce que c’est que l’infinitude. Ici, au contraire, nous complétons la synthèse en affirmant la finitude de l’Univers, en faisant l’évaluation du rayon de cet Univers, et en concevant que c’est la matière présente dans cet Univers qui en détermine les propriétés et qui, en particulier, détermine la géométrie, détermine le mouvement spontané que prendront les corps.

Cet Univers est, en gros, sphérique à trois dimensions. Seulement, il y a des bosses dessus ! Le Soleil détermine une de ces bosses, et la Terre dans son mouvement annuel, suit les géodésiques de cette bosse. Si vous imaginez une bosse sur une surface et sur cette bosse une géodésique, au sens géométrique sensible pour nous, c’est-à-dire une ligne qui tourne autour de cette petite bosse la trajectoire de la Terre autour du Soleil est l’analogue de la trajectoire géodésique que suivrait sur cette surface un point lancé, mais lié à la surface. La bosse sur laquelle tourne la Terre est une modification locale produite par le Soleil sur l’Univers, sensiblement sphérique avec un rayon d’un milliard d’années de lumière.

Sur cet Univers à courbure moyenne constante, les régions de grande densité, comme le voisinage du Soleil, créent ainsi des bosses analogues à ce que sont les montagnes sur la Terre, des inégalités locales comparées à la courbure moyenne générale de la Terre.

Voilà où nous en sommes. En sacrifiant des postulats, nous avons gagné une structure théorique extraordinairement harmonieuse. Au lieu d’avoir l’échafaudage rigide ancien, l’espace intangible euclidien, le temps absolu et la masse absolue, nous avons une science beaucoup plus homogène, nous avons une géométrie qui est déterminée par la physique, ou plus exactement la géométrie et la physique ne font qu’un tout qui est une géométrie d’ordre supérieur, la gravitation n’étant qu’un des aspects de cette géométrie.

Les physiciens espèrent qu’on pourra de même faire rentrer dans cette géométrie l’électromagnétisme, qui constitue maintenant la physique. Déjà la gravitation s’est séparée de l’électromagnétisme et est rentrée dans la géométrie en la déformant ; la géométrie l’a enclavée. Nous avons encore à y faire rentrer l’électromagnétisme et ses différents aspects. Ce qu’espèrent certains physiciens, c’est de pouvoir faire rentrer dans la même synthèse ce qui reste de la physique, et par conséquence toutes les autres sciences, en constituant une géométrie plus générale que celle d’Einstein, qui comprendrait l’électromagnétisme et la gravitation comme des aspects particuliers.

Mais, pour nous en tenir à la synthèse actuelle, elle est déjà assez importante, elle bouleverse assez de principes, elle change suffisamment notre conception de la nature même des choses, pour que nous ayons le droit de dire que cette période glorieuse marque un instant décisif dans l’histoire de la pensée, que M. Einstein, en vérité, nous a ouvert ce que j’appellerai une fenêtre nouvelle sur l’éternité.

(Vifs applaudissements, prolongés, L’auditoire acclame M. le Professeur Langevin et M. le Professeur Einstein, qui assiste à la conférence.).


Cette conférence a été sténographiée par M. Clément, sténographe de la Chambre des Députés et par M. M. Rosenheim.

Dans le prochain numéro du « Bulletin Scientifique »
LES ANCIENS ÉLÉMENTS CHIMIQUES
ET LES NOUVEAUX

Conférence faite par M. G. URBAIN,
Professeur à la Sorbonne, Membre de l’Institut