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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

nements de coïncidences absolues nous obligeait à le faire.

Vous voyez donc qu’il y a non seulement interprétation de l’ensemble des phénomènes connus et puissance de prévision véritablement extraordinaire, mais encore concordance avec les prescriptions de la théorie de la connaissance. Du moment que nous n’observons que des enchaînements de coïncidences absolues, nous devons pouvoir, et nous pouvons maintenant, énoncer les lois physiques sous une forme indépendante du système que nous employons pour repérer les événements, exactement comme les lois de la géométrie sont indépendantes du système de coordonnées qu’on emploie pour fixer la position des points.

Je pourrais m’arrêter là. Mais je veux ajouter quelques mots sur la cosmogonie, pour vous montrer qu’il est possible d’aller plus loin encore.

Non seulement nous avons vu qu’au voisinage du Soleil les corps ne prennent pas un mouvement rectiligne et uniforme, mais qu’ils tournent autour en suivant leur géodésique, et que la lumière s’y propage autrement qu’en ligne droite, mais encore on constate que la masse du corps ou son énergie interne est modifiée par la présence du Soleil d’une quantité qui dépend de la masse du Soleil et de sa proximité, et qui est très petite d’ailleurs.

Il y a là quelque chose qui a gêné Einstein. Il s’est dit : Dans la masse du corps telle que je l’observe, je suis obligé de faire deux parties, l’une qui est fondamentale, qui existerait si nous étions infiniment loin, et une autre due au voisinage du Soleil.

Cela n’est pas homogène. Quand on a certaines exigences de propreté théorique, on n’aime pas que deux parties d’un même effet soient expliquées de façons aussi divergentes.

Il y avait superposition d’une propriété absolue : l’existence d’une inertie fondamentale indépendante de la proximité de toute matière et d’une autre partie de l’inertie qui avait exactement les mêmes caractères, mais qui était liée à la présence de la matière voisine.

Einstein s’est dit, comme Mach l’avait supposé antérieurement : Il est beaucoup plus vraisemblable que toute l’inertie est due à la matière présente, non pas seulement à celle qui est tout près de nous, dans le système solaire ou dans la Voie Lactée, mais à tout l’ensemble de la matière cosmique. C’est parce qu’il y a d’autre matière, qu’une portion quelconque de matière est inerte, c’est parce qu’il y en a d’autre, que quand cette matière tourne, il s’y produit des effets de force centrifuge, qu’un corps qui lui est attaché se met à tendre le fil qui l’attache, et qu’il apparaît un champ de force d’inertie. Et en effet, s’il n’y avait pas d’autre matière, cela n’aurait pas de sens de dire que ceci tourne par rapport à cela !

Par conséquent, l’existence même des effets d’inertie suggère d’une façon nécessaire qu’on doive les expliquer par le fait, qu’il y a d’autre matière. Les effets de la rotation n’ont de sens qu’à cause de l’existence d’autre matière que celle du corps qui tourne, d’autre matière par rapport à quoi le corps peut tourner.

Si toute l’inertie est due à la présence de matière, le développement de la théorie montre que nécessairement la quantité totale de matière doit être finie, et que l’Univers également doit être fini, c’est à dire que cet Univers doit être pour les trois dimensions de l’espace l’équivalent de ce qu’est la sphère à deux dimensions.

Nous concevons très bien une surface comme la sphère qui soit finie, mais sans limites, telle que toutes ses régions s’équivalent, mais qui n’ait pas de points qui soient infiniment éloignés les uns des autres, et sur cette sphère dont tous les points s’équivalent, des êtres qui seraient à deux dimensions constateraient que leur géométrie ne serait pas euclidienne ; ce serait la géométrie de Riemann, et quand ils s’en iraient dans une même direction, et toujours dans cette même direction, ils reviendraient à leur point de départ.

Eh bien, si l’on donne aux équations d’Einstein une forme convenable pour interpréter cette inertie totale due à la matière présente, on peut en déduire ce que doit être le rayon de courbure d’un univers à trois dimensions fini, mais sans limites. On peut concevoir que, si nous nous éloignons toujours dans la même direction, nous pourrons revenir au point de départ, exactement comme cela a lieu à deux dimensions sur la sphère.

Imaginez-vous quelque chose à trois dimensions équivalant à la sphère à deux dimensions, un Univers qui ait, à trois dimensions, une rotondité analogue à celle de la Terre. On a constaté qu’en s’en allant toujours dans la même direction et en restant sur la Terre à deux dimensions on revenait au point de départ. Einstein a précisément montré que la même chose se passait à trois dimensions et qu’on devait revenir toujours au point de départ en se déplaçant dans une même direction. Nous pouvons, en vertu de ces équations, connaissant en même temps la densité moyenne de la matière en tenant compte des nébuleuses, évaluer ce que serait le chemin parcouru avant de revenir au point de départ dans ce tour de l’Univers. On peut affirmer qu’il est de