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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

que la lumière, puisqu’elle se propage avec la même vitesse, et qu’elle présente les mêmes caractères que les phénomènes électro-magnétiques, n’est, elle-même, qu’un phénomène électro-magnétique. De sorte que ce domaine de l’optique, sur lequel les mécaniciens s’étaient cassé les dents — il y en a eu beaucoup de cassées, et des meilleures ! — ce domaine de l’optique qui avait entièrement résisté à la mécanique a immédiatement cédé à l’électro-magnétisme. Il a suffi de lire en langage d’optique les équations de Maxwell pour y trouver exactement l’explication de tous les phénomènes optiques. Cela n’a souffert aucune difficulté.

Ainsi, alors que cette tendance à l’unité, cette tendance à l’explication de la physique par la mécanique avait échoué, on peut le dire, avec des efforts considérables perdus, voilà au contraire un autre domaine entièrement indépendant, celui de l’électromagnétisme, avec Faraday à l’origine, qui développé par Maxwell, vient tout de suite absorber l’optique.

La conquête ne s’est pas arrêtée là, et tout ce qui se passe actuellement n’est que la continuation des conquêtes de l’électromagnétisme.

Il est assez curieux que cette évolution soit exactement contraire à ce qu’on imaginait. Les phénomènes mécaniques, considérés comme simples parce qu’ils étaient familiers, devaient servir à expliquer les autres. Voilà, au contraire que ce sont les phénomènes électriques aussi peu familiers que possible, puisque ce sont les derniers que nous avons découverts (nous n’avons pas de sens qui nous permette de percevoir l’électricité, et le magnétisme encore moins), ce sont ces phénomènes mystérieux encore, perçus seulement par l’intermédiaire d’instruments plus ou moins compliqués, qui se présentent comme ayant un pouvoir d’explication absolument extraordinaire.

Il y a quelque chose d’extrêmement instructif dans l’histoire de la physique. Ce n’est d’ailleurs pas un fait isolé. Si l’on y regarde de près, on voit que dans toutes les branches de la physique, il en est de même. On voit que ce ne sont pas du tout les phénomènes les plus anciennement connus et les plus familiers qui sont les plus simples, au point de vue d’une construction théorique explicative. Je vous en rappellerai rapidement des exemples.

Pour ne prendre que l’optique, vous savez qu’au début, dans tous les traités d’optique, on nous parle de la propagation rectiligne de la lumière. C’est le phénomène optique par excellence, le plus vieux phénomène optique. La théorie de l’émission de Newton était précisément établie en prenant ce phénomène comme fondamental. Un rayon lumineux, c’était un projectile qui se déplace. Tandis qu’avec la théorie de Fresnel, qui reste encore dans son aspect cinématique à la base de notre interprétation de l’optique, la propagation rectiligne est la chose la plus difficile à obtenir ; c’est par l’intermédiaire de la diffraction, de phénomènes compliqués, que nous expliquons la propagation rectiligne.

De même, en électrostatique, le vieux phénomène, c’est le phénomène de Thalès de Milet : c’est l’attraction des corps légers par de l’ambre frotté qu’on approche. Actuellement, dans l’électrostatique telle qu’elle est construite et telle qu’elle représente admirablement les phénomènes, ce phénomène est celui que nous appelons l’attraction des diélectriques polarisés par les corps électrisés. C’est le dernier des phénomènes, celui que nous expliquons en dernier lieu, et qui est le plus complexe de tous.

De même encore, lorsque nous prenons l’électromagnétisme, l’étude des aimants et des courants, le vieux phénomène est le phénomène des aimants, connu dès l’antiquité. Aujourd’hui encore on est tenté de s’en servir pour expliquer les autres, pour introduire dans les autres les notions fondamentales de champ et de moment magnétiques. En fait, nous sommes arrivés à cette constatation que le phénomène des aimants est un phénomène compliqué, et que le phénomène simple, c’est le phénomène du courant de déplacement introduit par Maxwell par une voie détournée. À partir des lois du courant de déplacement, on prévoit l’existence du courant de convection, c’est-à-dire la production d’actions magnétiques par des particules électrisées en mouvement. Le courant ordinaire ou courant de conduction est considéré lui-même comme constitué par l’ensemble d’un nombre énorme de courants de convection particulaires.

L’aimant est un système plus complexe encore dans lequel il y a dans chaque atome ou molécule des particules électrisées qui tournent, des courants de convection suivant des orbites fermées intramoléculaires. Ce phénomène de l’aimant est ainsi le dernier des phénomènes expliqués en électromagnétisme ; c’est le premier connu et le dernier expliqué, quand on veut avoir une explication cohérente.

Ce qui se passe dans chaque compartiment de la physique se passe aussi pour la physique entière. Ce ne sont pas les phénomènes les plus familiers, les plus anciens, qui doivent être utilisés pour expliquer les autres, mais ce sont au contraire les derniers venus, les phénomènes électromagnétiques, les plus difficiles à atteindre, qui sont en réalité les plus simples et qui doivent nous servir à expliquer les autres.