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BULLETIN SCIENTIFIQUE DES ÉTUDIANTS DE PARIS

développer les autres parties de la physique sur le modèle de la théorie newtonienne de la gravitation, sur le modèle de la mécanique céleste.

Quand Coulomb a dit que des corps électrisés agissent l’un sur l’autre à distance en raison inverse du carré de leur distance, il imaginait aussi une loi d’attraction instantanée du type newtonien, et toute l’électrostatique a été construite là-dessus.

Quand on a étudié l’action des aimants, quand Laplace a donné la loi d’action d’un courant sur les aimants, c’était aussi une loi d’attraction instantanée.

Quand Ampère a constitué l’électrodynamique, il en était encore de même.

Il était naturel, en effet, d’essayer de développer les autres parties de la physique sur le modèle de ce qui avait réussi en théorie cinétique ou en mécanique céleste, et au début cela a réussi. Puis, cela n’a plus marché.

Cela n’a plus marché tout d’abord en optique.

Vous savez, en effet, que Huyghens, qui avait grogné contre l’idée d’action instantanée à distance, a montré le premier que l’optique peut s’expliquer autrement que par la théorie de l’émission de Newton.

Newton voyait simplement dans la lumière une émission de particules se propageant, se déplaçant avec une vitesse très grande : Huyghens y voyait une propagation d’ondes s’effectuant avec une vitesse finie par l’intermédiaire d’un milieu. Huyghens avait ainsi commencé à introduire l’idée d’un milieu, l’éther, propageant les ondes lumineuses.

Fresnel a montré que cela rendait compte d’un grand nombre de phénomènes ; et cependant, malgré des efforts considérables, de Fresnel lui-même et de ses continuateurs qui se sont épuisés à essayer de préciser les propriétés de l’éther, on n’est jamais arrivé à définir les propriétés élastiques de l’éther sur un modèle analogue aux propriétés élastiques d’un morceau de fer, d’un corps matériel. Dans ce domaine, on doit dire que Fresnel a échoué, comme ont complètement échoué aussi ses continuateurs dont les plus illustres sont Stokes et Lord Kelvin.

Il y a eu des tentatives extrêmement intéressantes, notamment l’éther gyroscopique de Kelvin. Larmor, qui est également à l’origine d’un autre mouvement, a été le dernier des grands sacrifiés à la tentative d’expliquer les propriétés de l’éther par la mécanique newtonienne au moyen de l’élasticité.

Cela n’a pas marché non plus en électricité, en magnétisme.

Les lois de Coulomb, de Laplace, d’Ampère, dont je vous parlais tout à l’heure, ont pu représenter les propriétés de ce qu’on appelle les courants fermés ou courants quasi-stationnaires, qui varient lentement et se ferment sur eux-mêmes ; mais les propriétés de ce qu’on appelle courants ouverts, des phénomènes de décharge de condensateurs ou de corps électrisés tels qu’on les utilise couramment en T. S. F., ne se sont pas laissés expliquer de cette manière. Nous n’avons pu à grand’ peine en avoir une représentation précise qu’en suivant une voie tout à fait différente de la voie mécanique, celle qui fut ouverte par Faraday.

Faraday, qui était ouvrier relieur, n’avait pas reçu d’instruction mathématique, et n’avait pas absorbé le virus newtonien, si j’ose dire, dans son éducation. Il avait une répugnance infinie à admettre l’idée que les actions électriques, par exemple, puissent, comme on le croyait pour les actions de gravitation, s’exercer instantanément à distance ; et dans son bon sens de praticien, et surtout d’expérimentateur admirable — c’est peut-être le plus grand expérimentateur qui ait jamais existé — il a construit une représentation, un peu fruste d’abord, des phénomènes électriques. Cette représentation, qui n’avait rien de commun avec la mécanique, était basée surtout sur l’idée que les actions électriques ne se transmettaient pas du tout instantanément, mais ne pouvaient se transmettre que de proche en proche à travers un milieu.

Ainsi, à la base des idées de Faraday se trouve cette notion de la transmission de proche en proche ; tandis qu’à la base d’une mécanique du type newtonien il y a l’idée de la propagation instantanée à distance, solidaire comme nous l’avons vu de celle du temps absolu.

Puis, sur les idées de Faraday, Maxwell a mis des mathématiques. Avec une intuition géniale, guidé par cette conception de Faraday, il a introduit dans ce que nous appelons les équations de l’électromagnétisme un terme, le terme de courants de déplacement, qui n’a rien de commun avec le mécanisme, qui est tout à fait inadéquat à la mécanique, et qui, une fois introduit, a donné une interprétation quantitative précise de tous les phénomènes électromagnétiques. Rien qu’en lisant les conséquences de ces équations de Maxwell, on prévoyait qu’autour d’un système électrisé qu’on décharge doit se propager une onde avec une même vitesse dans toutes les directions dans le vide. On prévoyait aussi que cette vitesse serait celle de la lumière.

Hertz a eu la gloire de vérifier l’exactitude de cette prévision. Il était naturel de supposer