Page:Langevin - Pour l’ère nouvelle, 11ème année, numéro 81 (extrait), 1932.djvu/9

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Vous savez que la conclusion peut être tragique. Le danger croissant de la guerre peut aboutir à notre destruction, et rien ne nous permet de croire que nous en puissions être préservés autrement que par un effort volontaire. C’est, là encore, la science qui nous renseigne puisque la paléontologie nous met en présence d’espèces disparues. Il en est ainsi des grands sauriens de l’époque secondaire qui semblaient admirablement doués par leur force matérielle pour continuer à vivre, et cependant ils ont disparu sans aucun prolongement. Peut-être le climat a-t-il changé dans les régions qu’ils habitaient, peut-être leur nourriture s’est-elle déplacée ou la maladie les a-t-elle tous détruits. De toute manière, ils n’ont pas su s’adapter, faire l’effort d’imagination, d’intelligence et de volonté nécessaire pour éviter le danger. Nous pensons qu’ils avaient un cerveau insuffisamment développé. Le grand corps du diplodocus portait une toute petite tête. Nous qui avons la prétention d’avoir la tête plus grosse et un esprit plus évolué, devons la justifier en faisant l’effort de salut qui n’a jamais été plus nécessaire. Une grande responsabilité vis-à-vis de l’espèce pèse à ce point de vue sur nos générations.

Il se peut aussi que l’aventure humaine devienne merveilleuse puisque étant donnée l’énormité du temps dont nous disposons, notre espèce, si elle sait réaliser son unité, peut donner naissance à des formes de vie infiniment plus riches par rapport à la nôtre, dans la même proportion ou dans une proportion plus grande encore que la nôtre n’est riche par rapport à celles dont elle est issue. Il y a là une grande espérance dont la réalisation dépend de chacun de nous.

La doctrine d’évolution, d’origine scientifique, pénètre de plus en plus toutes les conceptions et toutes les sciences humaines. Elle nous montre la voie et justifie les règles d’action dégagées de l’expérience et fondées sur une conscience de plus en plus claire de la solidarité humaine en vue d’un but qui nous apparaît de plus en plus élevé.

Nous devons être prêts, en insérant le plus largement et le plus consciemment possible, notre vie individuelle dans la vie de l’espèce, à des sacrifices pour la cause collective. Un instinct profond nous y pousse ; comme l’instinct maternel fait accepter à la femme les douleurs de l’enfantement pour continuer la vie, nous devons prendre notre part de l’effort nécessaire à l’incessante éclosion d’un monde nouveau. Nous le ferons de manière d’autant plus efficace qu’elle sera plus consciente et plus éclairée.

J’ai tenté de vous montrer les services que peut rendre l’introduction de l’esprit scientifique comme lien entre les éléments divers de la culture, depuis ceux qui nous préparent à l’action sur les choses en vue de la libération matérielle des hommes, jusqu’à ceux qui concernent les relations entre les hommes en vue d’atteindre, à travers la justice, la libération et le règne de l’esprit. Indépendamment d’ailleurs de ses résultats lointains, l’introduction de cet esprit peut donner à tous, avec la joie de comprendre, la confiance dans l’avenir de l’espèce et l’apaisement des inquiétudes ancestrales.

Voilà donc la solution que je vous propose, au moins de manière provisoire, au problème de la culture générale, de l’éducation qui doit faire participer le plus largement et le plus pleinement possible chaque individu à la merveilleuse aventure de l’espèce.