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anecdotes françaises

tée dans un village pour prendre un repos bien gagné. Mais à peine a-t-elle tâté de la paille des granges qu’arrive l’ordre de reprendre la marche pour aller à l’ennemi. Les soldats sentent sourdre en eux la vieille grogne de leurs ancêtres de l’Empire. « Comment remettrais-je bien mes hommes en bonne humeur ? » se demande le capitaine. Une idée lui vient. Il va trouver le maire du village. « Désignez-moi, lui dit-il, les deux plus jolies filles de l’endroit. »

Stupéfaction du brave maire, qui obtempère pourtant à l’ordre de l’officier. Le capitaine se rend auprès des deux jeunes personnes qui lui sont désignées et leur tient à peu près ce langage :

« Rendez-moi un service : aidez-moi à relever le courage de mes soldats, exténués par une terrible randonnée. Avant de partir pour courir sus à l’ennemi, je dois distribuer de l’eau-de-vie à mes hommes ; eh bien ! venez vous-mêmes la leur verser, après vous être gentiment parées et rendues encore plus jolies ! Vous connaissez le caractère français. Votre seule vue les remettra d’aplomb et gaillards pour aller au feu… »

Cela dit, notre capitaine se rend dans les granges, où ses soldats se préparent au départ, non sans quelques gestes las, et leur annonce que deux jeunes filles du village ont tenu à leur offrir la « goutte » et s’apprêtent à venir. « Ce sont deux beaux brins de filles ! » ajoute l’officier en clignant de l’œil. Aussitôt, un étrange remue-ménage s’opère dans les granges : des sacs sortent les peignes, les brosses et les morceaux de glace qui servent de miroir ; les moustaches redressent leurs pointes ; les barbes se frisent ; les « boucs » s’effilent. On secoue la poussière de son uniforme ; on cambre la taille ; plus d’attitudes lasses ; la fatigue s’est envolée comme par enchantement. Chacun se prépare à la visite annoncée. Le capitaine suit malicieusement du regard ce manège et se frotte les mains.

Mais voici les jeunes filles. Elles ont revêtu leurs plus coquets atours, et, gracieuses, pimpantes, les jolies cantinières volontaires commencent à verser la goutte dans