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Mais il nous paraît étrange et mensonger que certaines personnes disent que Ninus est fils de Bel ou Bel lui-même ; car ni la généalogie, ni la somme des années, n’autorisent [à le faire]. Sans doute quelqu’un, avide de renommée et de célébrité, aura voulu rapprocher ce qui est éloigné. Tous ces renseignements, nous les avons vraiment découverts dam la littérature des Grecs ; car, bien que ceux-ci les aient traduits du chaldéen dans leur propre langue, et de plus qu’un Chaldéen[1], spontanément ou par l’ordre des rois, ait entrepris un semblable travail, comme firent Arius[2] et beaucoup d’autres, — cependant nous attribuons tout aux Grecs, ayant tout appris d’eux.

CHAPITRE VI.

Comment les autres archéologues sont, partie d’accord avec Moïse, partie en désaccord. — Tradition orale du philosophe Olympiodore.

La vérité extraite autant que possible de différents écrivains, nous avons disposé les filiations des trois fils de Noé, jusqu’à Abraham, à Ninus et à Ara ; à cela, je crois, aucun homme de sens ne fera d’objections ; mais si, croyant rompre le cachet de la vérité, quelqu’un se plaît à changer en fables mes paroles véritables, qu’il agisse à sa volonté.

Cependant, si tu es reconnaissant de mes veilles et de mes fatigues, ô toi ami de l’instruction, qui nous convies à un semblable travail, je reviendrai brièvement sur ce que j’ai dit au commencement ; je dirai comment les premiers chroniqueurs se sont plu à écrire sur de tels sujets, quoique je ne puisse pas dire ici si c’est dans les bibliothèques royales qu’ils ont rencontré de semblables documents, ou si chacun, selon son caprice, a dénaturé les noms, les faits, les temps, ou s’il y a encore quelque autre raison. Pour ce qui est du commencement, tantôt il y a du vrai et tantôt du faux, — comme au sujet du premier être créé, qu’ils n’appellent pas premier homme, mais roi, et lui donnent un nom barbare, vide de sens, [en lui attribuant une existence] de trente six mille ans[3] ; — mais quant au nombre des patriarches et à la mention du déluge, ils s’accordent avec Moïse[4]. De même aussi après le déluge, en citant trois personnages célèbres avant la construction de la tour [de Babel], après la navigation de Xisuthre en Arménie, ces chroniqueurs disent vrai[5]. Pour le changement des noms et bien d’autres faits encore, ils mentent.

Or, maintenant il m’est agréable de commencer mon récit avec ma chère sibylle bérosienne[6], plus véridique que beaucoup d’historiens : « Avant la tour, dit-elle, et la multiplication des langues dans le genre humain, depuis la navigation de Xisuthre en Arménie, Zérouan, Titan et Japhétos[7] étaient princes de la terre[8] ». Ces personnages me semblent être Sem, Cham et Japhet.

À peine, dit-elle, se furent-ils partagé l’empire du monde, que Zérouan s’érigea en maître sur les deux autres[9], Zérouan que le mage Zoroastre (Zerataschd), roi des Bactriens, c’est-à-dire des Mèdes, dit être prince et père des dieux.

Zoroastre a débité beaucoup d’autres fables relativement à Zérouan, et qui seraient déplacées ici.

  1. Il est question ici de Mar Apas Catina, dont nous avons publié les fragments de l’Histoire, dans le t. I de notre Collection, p. 1 et suiv.
  2. Arius est peut-être le même qu’Arius d’Héracléopolis, dont Philon de Byblos a parlé dans un assez long fragment qu’Eusèbe nous a transmis dans sa Préparation évangélique (t. I, p. 40 D). Cf. Müller, Fragm. hist. græc., t. III, p. 572.
  3. Moïse fait allusion dans ce passage à Abydène qui, ainsi que nous l’avons vu plus haut (ch. 4), dit en parlant d’Adam : « Alorus régna dix sares, qui font trente-six mille ans. » — Cf. aussi Eusèbe, Chron., 1, 46. — Le Syncelle, p. 30, ὅτι μιν τοῦ λεὼ ποιμένα ὁ θεὸς ἀποδείξαι. Βασιλεῦσαι δὲ σάρους ιʹ. Σάρος δέ ἐστι χ’ καὶ γʹ ἔτεα..
  4. Cf. Abydène, dans Eusèbe, Chron., 1, 48-50.
  5. Cf. Abydène, Bérose, le Polyhistor, dans Eusébe, op. cit., loc. cit.
  6. Pausanias, Descript. de la Grèce, liv. X, ch. 12. — Josèphe, Contr. Appion. I, 19, 20. — Eusèbe, Chron., p. 38. — Coll. des oracl. sibyllins, t. 1, p. 331, 345 (Amst., 1689), et Alexandre, Oracula sibyllina, t. II, Excursus I, ch. 15, p. 82 et suiv. (éd. Didot).
  7. Sur cette trilogie litanique, cf. Ewald, Geschichte des Wolk., liv. I, p. 373.
  8. Ce passage semble être extrait en effet des oracles sibyllins (liv. III, § 2, vers 105-115) :

    Αὐτὰρ ἐπεὶ πύργος τ’ ἔπεσε, γλῶσσαί τ’ ἀνθρώπων
    Παντοδαπαῖς φωναῖσι διέστρεφον, αὐτὰρ ἅπασα
    Γαῖα βροτῶν πληροῦτο, μεριζομένων βασιλήων.
    Καὶ τότε δὴ δεκάτη γενεὴ μερόπων ἀνθρώπων,
    Ἐξ οὗπερ κατακυσμὸς ἐπὶ προτέρους γένετ’ ἄνδρας.
    Καὶ βασίλευσε Κρόνος, καὶ Τιτὰν, Ἰαπετός τε,
    Γαίης τέκνα φέριστα, καὶ Οὐρανοῦ ἐξεκάλεσσαν
    Ἄνθρωποι, γαίης τε καὶ οὐρανοῦ οὔνομα θέντες,
    Οὕνεκα οἱ προφέριστοι ἔσαν μερόπων ἀνθρώπων.
    Τρισσαὶ δὴ μερίδες γαίης κατὰ κλῆρον ἑκάστου,
    Καὶ βασίλευσεν ἕκαστος ἔχων μέρος, οὐδ' ἐμάχοντο.

    — Cf. Alexandre, Oracula sibyllina, t. 1, p. 102-103.

  9. Cf. le Polyhistor, auquel Eusèbe avait lui-même emprunté ces passages (Chron., 1, p. 38-39).