Page:Langlois - Harivansa ou histoire de la famille de Hari, tome 2.djvu/17

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mêmes et les Vasous. Le temps dans sa révolution est la mort de tout (jouissez du présent). Au milieu des seize mille femmes de Crichna, vous êtes aujourd’hui l’épouse préférée. Aimable rejeton des Bhodjas, vos rivales sont douées de mille avantages ; cependant triomphez de leur humilia tion, et goûtez dans toute leur plénitude votre bonheur et votre gloire. La fille de Satrâdjit, la belle Satyabhâmâ va savoir que le vainqueur de Madhou vous a donné cette fleur céleste, et elle sentira l’atteinte portée à cette félicité à laquelle elle est accoutumée. La mère de Sâmba[1], Gândhârî et les autres épouses de Crichna, avides de bonheur, concevront de vains désirs qui ne seront point satisfaits. Vous avez obtenu un bien unique, qui l’emporte sur tous les autres, et que mille désirs, des plus fervents, ne sauraient conquérir. Je puis aujourd’hui m’unir à Crichna pour déclarer, ô noble fille des Bhodjas, que vous êtes douée des avantages les plus brillants ; et le présent que vous venez de recevoir de votre époux, présent qui vaut toutes les pierreries des trois mondes, donne maintenant à votre existence un prix incomparable. »

Ainsi parlait Nârada, et son discours était sincère. Quelques-unes des femmes attachées au service de Satyabhâmâ et des autres épouses de Crichna étaient présentes : elles entendirent les paroles de Nârada vantant l’excellence du présent fait à Roukminî ; et bientôt, par suite de l’indiscrétion naturelle à leur sexe, tout le gynécée de Vichnou connut les détails de cette aventure. Ce discours, passant par la bouche[2] des suivantes, arriva jusqu’aux oreilles des maîtresses, qui se mirent à raisonner sur la faveur extraordinaire de Roukminî : « En quoi, se disaient-elles dans leur conciliabule, en quoi vaut-elle mieux que nous ? Est-ce parce qu’elle lui a donné un fils ? Est-ce pour l’excellence réelle de ses qualités ? » Les épouses de Crichna s’épuisent en longs discours ; mais Satyabhâmâ, accoutumée à la tendresse de son époux, ne peut supporter le bonheur de sa rivale ; elle était belle, jeune, fière de l’amour de Crichna : en entendant ce récit, qui blesse son orgueil, elle ressent le supplice de la jalousie. Celle dont le visage est ordinairement si calme, si riant, rejette avec colère sa robe qui brille de la couleur du safran[3] : elle se couvre d’un simple voile. Son cour-

  1. Elle se nommait Djâmbavatî.
  2. L’expression sanscrite signifie mot à mot d’oreille en oreille, कर्णाकर्णि carnâcarni.
  3. सकुङ्कुम sacouncouma.