Page:Langlois - Rig Véda.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[Lect. III.]
149
RIG-VÉDA. — SECTION DEUXIÈME.


26. J’invoque donc cette vache féconde. Qu’elle donne son lait à celui qui doit le recueillir[1] ! Que Savitri obtienne la meilleure des libations ! que notre feu brille d’une nouvelle force ! que ma prière retentisse !

27. L’épouse des foyers (d’Agni), au milieu des prières, mugit après son nourrisson qu’elle recherche, et s’approche de lui[2]. Que cette vache donne son lait pour les Aswins ; qu’elle croisse pour notre plus grand bonheur !

28. La vache, en mugissant, vient vers son nourrisson, dont l’œil est à peine ouvert, et lui lèche la tête[3]. Elle étend sur lui sa langue chaude ; son mugissement se prolonge pendant qu’elle lui prodigue son lait.

29. Cependant le nourrisson fait aussi entendre sa voix ; il se couche sur sa nourrice, qui mugit toujours, étendue qu’elle est sur le pâturage. Et c’est ainsi que, par ses œuvres, (la vache du sacrifice) parvient à former (le dieu) mortel : elle se fait lumière, et lui donne un corps.

30. L’être actif reposait donc ; il revient à la vie, et s’établit au sein de nos demeures. Il était mort ; la vie lui est donnée par les libations. L’(être) immortel était dans le berceau de l’(être) mortel.

31. J’ai vu le gardien (du monde), suivant ses voies diverses, à son lever, dans sa station inaccessible, et à son coucher. Tantôt s’unissant aux rayons lumineux, tantôt les quittant, il va et revient dans les mondes intermédiaires.

32. L’homme agit, et, sans le savoir, n’agit que par ce (maître) ; sans le voir, il ne voit que par lui. Enveloppé dans le sein de sa mère et sujet à plusieurs naissances, il est au pouvoir du mal[4].

33. Le Ciel est mon père, il m’a engendré. J’ai pour famille tout cet entourage céleste. Ma mère, c’est la grande Terre. La partie la plus haute de sa surface[5], c’est sa matrice ; c’est là que le père féconde le sein de celle qui est son épouse et sa fille[6].

34. Je te demande où est le commencement de la terre, où est le centre du monde ; je te demande ce que c’est que la semence du coursier fécond ; je te demande quel est le premier patron de la parole (sainte).

35. Cette enceinte sacrée est le commencement de la terre ; ce sacrifice est le centre du monde. Ce soma est la semence du coursier fécond. Ce prêtre est le premier patron de la parole (sainte).

36. Déchirant le sein de leur mère, sept rejetons de Vichnou[7] se présentent, disposés à remplir le devoir qui leur est prescrit. Sages dans leurs pensées et dans leurs œuvres, ils nous entourent de tout côté.

37. Je ne sais à quoi ressemble ce monde. Je suis embarrassé, et vais comme enchaîné dans ma pensée. Quand le premier-né du sacrifice arrive vers moi, alors je prends ma part de la parole sainte.

38. Entraîné par le désir des offrandes, de l’orient il passe au midi. L’(être) immortel est dans le berceau de l’(être) mortel. Les deux (esprits) éternels vont et viennent partout : seulement les (hommes) connaissent l’un sans connaître l’autre.

39. Ces stances portent en tête un titre qui annonce qu’elles sont consacrées aux Viswadévas. Celui qui ne connaît pas l’être (que je chante), ne comprendra rien à mon hymne. Ceux qui le connaissent ne sont pas étrangers à cette réunion.

40. Ô (vache)[8] respectable, nourrie d’une herbe grasse, sois heureuse, et rends-nous heureux ! Goûte la douceur d’un bon pâturage, et, dans ta course, bois d’une onde pure.

41. La vache, en mugissant, attire les ondes (de la libation) ; elle se montre sur un pied, sur deux, sur quatre, sur huit, sur neuf. Elle peut avoir telle forme, qu’elle offrira jusqu’à mille mamelles[9].

  1. Il me semble que la vache est la libation qui doit augmenter la force du feu, devenu son nourrisson, et communiquer ensuite les rayons au soleil.
  2. C’est-à-dire, la libation est jetée sur le feu qu’elle alimente, et frémit en y tombant.
  3. Je pense que le lecteur s’explique bien toute cette allégorie, en la rapportant à la libation. Le commentaire pense que la vache, c’est le nuage ; que son veau, c’est la terre ; que la tête de ce veau, ce sont les montagnes.
  4. Le mal est appelé ici nirriti.
  5. Je suppose que l’auteur désigne le pôle du nord, outtânâyoh tchamwôh, dans l’endroit septentrional où les deux surfaces se touchent. L’étoile polaire se nomme outtânapada. C’est le point qui a été plus tard le sommet du mont Mérou, partie la plus élevée de la terre, et partie centrale du ciel.
  6. Le mot douhitri peut ne pas signifier fille : il marque l’état de celle qui se nourrit de lait.
  7. Vichnou est un des noms du soleil, dont les rayons se décomposent en sept parties.
  8. La vache dont il va être question maintenant, c’est la parole sainte, que l’on a aussi divinisée sous le nom de Saraswatî, déesse de la parole, vâgdévî.
  9. Dans la supposition que cette vache est la parole, et par conséquent la poésie sacrée, on se rend bien compte de la multiplicité de ses pieds ; ses mamelles, ce sont les akcharas, ou les vers qu’ils composent. (Le mot akchara signifie aussi onde : j’ai cru pouvoir modifier la traduction.) Le commentateur, adoptant une autre idée, et voulant que cette vache soit le nuage, dépense beaucoup d’esprit pour expliquer les diverses épithètes qui ont rapport aux pieds que l’auteur donne à sa vache. Ses efforts ont contribué à me faire persister dans le sens que j’ai suivi. Ces ondes dont il est question sont ou celles des libations qui accompagnent la prière du sacrifice, ou les ondes du ciel que fait tomber la prière.