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[Lect. IV.]
INDE. — POÉSIE LYRIQUE.

13. Indra naît : à sa suite viennent avec amour les Mois, les Arbres, les Plantes, les Montagnes (célestes), le Ciel et la Terre, les Ondes.

14. Ô Indra, que ton arme, ennemie du pécheur, éclate contre le Rakchasa ! Que nos cruels adversaires, comme des bœufs immolés, soient étendus sur la terre !

15. Ô Indra, les ennemis qui nous attaquent sont nombreux et remplis d’animosité. Qu’ils s’assemblent au sein des ténèbres. Que le matin, avec le secours de la lumière, devienne leur tombeau.

16. Que les abondantes libations de tes serviteurs, que les hommages et les chants des Richis causent ta joie. Ils ont fait retentir leurs invocations en t’appelant à leur secours. Éloigne (nos ennemis), et protége ceux qui te louent.

17. Puissions-nous, ô Indra, éprouver constamment l’effet de ton heureuse bienveillance ! Puissions-nous, enfants de Viswâmitra, jouir en ce jour, pour prix de nos chants, de ta généreuse assistance !

18. Appelons à notre secours, au sein de ce sacrifice, le grand et magnifique Indra, le plus noble des héros au milieu du combat, aussi clément que terrible, vainqueur de ses ennemis sur le champ de bataille, et couvert de leurs dépouilles[1].


HYMNE V.
À Pouroucha[2], par Narayana.
(Mètres : Anouchtoubh et Trichtoubh.)

1. Pouroucha a mille têtes, mille yeux, mille pieds. Il a pétri la terre de ses dix doigts, et en a formé une boule[3], au-dessus de laquelle il domine.

2. Pouroucha, maître de l’immortalité, fort de la nourriture qu’il prend[4], a formé ce qui est ce qui fut, ce qui sera.

3. Telle apparaît sa grandeur. Pouroucha est réellement plus grand encore. Son pied, ce sont tous les êtres ; mais il a dans le ciel trois autres pieds immortels[5].

4. Ces trois pieds de Pouroucha s’élèvent dans les régions supérieures. Le quatrième s’appuie ici-bas. De Pouroucha sort tout ce qui est étendu, animé et inanimé.

5. De lui est né Virâdj[6] ; de Virâdj, Adhipouroucha[7]. Virâdj naît et apparaît sous la forme terrible, sous la forme de (ces corps, qui sont) les villes (de l’âme).

6. Quand les Dévas avec Pouroucha sacrifièrent en présentant l’offrande, le beurre forma le printemps, le bois l’été, l’holocauste l’automne.

7. Pouroucha ainsi né devint le Sacrifice, accompli sur le (saint) gazon par les Dévas, les Sâdhyas[8] et les Richis.

8. Du Sacrifice est né le (Feu) invoqué par tous les hommes, les Libations et les Offrandes.

  1. Refrain final des hymnes de Viswâmitra. Voyez section III, lecture ii, hymne i, st. 22 et alibi.
  2. Pouroucha est le nom que l’on donne à l’âme ; c’est aussi par ce mot que l’on désigne le mâle. Il me semble que dans cet hymne ce nom est attribué au Sacrifice (Voy. Vichnou Pourâna, note de M. Wilson, page 8) ; c’est Agni Pradjâpati, ou créateur des êtres qu’il anime de son esprit. Au reste, cet hymne, à en juger par quelques détails qu’il renferme, paraît être d’une date plus moderne que les autres ; il a dû être interpolé à la suite des arrangements que le recueil général du Rig-Véda a subis à différentes époques. Ce personnage de Pouroucha, tel qu’on le présente ici, appartient plutôt à la métaphysique des Oupanichats. La stance 9 semble indiquer une triple division des Védas, qui n’existait pas quand la généralité des hymnes a été composée. La stance 12 admet positivement les quatre castes, avec la distinction odieuse dont l’esprit sacerdotal a flétri les dernières. Or, jusqu’à présent, bien que nous ayons rencontré les mots brâhmana et kchatriya, rien ne nous autorise à croire que l’établissement politique des castes ait eu lieu à cette époque ancienne. On y trouve la distinction sociale du prêtre et du guerrier ; mais souvent ces deux titres sont confondus dans la même personne. Les familles sacerdotales sont fondées ; mais elles ne sont fermées à personne. Le prêtre peut se dire le premier-né du sacrifice. Cependant on le voit d’une adulation si grande, d’une soumission si obséquieuse envers le prince et le riche, qu’on peut affirmer que ce premier-né n’a aucun droit d’aînesse. Agni, le maître de la chose sacrée (Brahmanaspati), est aussi le maître des Visas (Vispati), c’est-à-dire du peuple entier. Les Soûdras, ces hommes excommuniés, n’existent pas : il y a des gens pieux et des impies, des Dasyous et des Aryas, c’est-à-dire des hommes qui sont les uns au sein d’une société organisée, les autres en dehors ; mais rien n’y implique une juridiction exclusive et héréditaire, un privilége de naissance et de profession. Je me crois donc fondé à regarder l’hymne, où apparaît la trace de semblables distinctions, comme appartenant à une époque postérieure, et comme introduit par erreur dans un corps de pièces qui portent le cachet d’une civilisation où régnait l’égalité politique.
  3. Le commentaire dit : un œuf.
  4. Amritatwam est peut-être la nourriture qui rend immortel.
  5. Ces quatre pieds, ne seraient-ce pas les quatre éléments, dont trois, l’eau, l’air et le feu, s’élèvent en effet vers le ciel ?
  6. Virâdj est la substance corporelle. Voy. Vichnou Pourâna, de M. Wilson, page 53.
  7. L’Adhipouroucha, suivant M. Wilson (ibid., page 93), est l’âme suprême. Il me semble qu’ici c’est le corps animé, l’âme incorporée.
  8. Espèce de demi-dieux.