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grands qu’elle est aujourd’hui considérée comme « la critique » par excellence. On dit couramment d’un historien qu’il « manque de critique » lorsqu’il ne sent point la nécessité de distinguer entre les documents, qu’il ne se méfie jamais des attributions traditionnelles, et qu’il accepte, comme s’il craignait d’en perdre un seul, tous les renseignements, anciens et modernes, bons et mauvais, d’où qu’ils viennent[1].

On a raison : mais il ne faut pas se contenter de cette forme de la critique, et il ne faut pas en abuser.

Il ne faut pas en abuser. — L’extrême méfiance, en ces matières, a des effets presque aussi fâcheux que l’extrême crédulité. Le P. Hardouin, qui attribuait à des moines du moyen âge les œuvres de Virgile et d’Horace, n’était pas moins ridicule que la victime de Vrain-Lucas. C’est abuser des procédés de la critique de provenance que de les appliquer, comme on l’a fait, pour le plaisir, à tort et à travers. Les maladroits qui s’en sont servis pour arguer de faux des documents excellents, comme les écrits de Hroswitha, le Ligurinus et la bulle Unam Sanctam[2], ou pour établir, entre

    par les Normands, d’Augustin Thierry, dont l’autorité a été tout à fait ruinée, depuis que la provenance de leurs sources a été étudiée. — Rien n’amuse davantage la galerie que de voir un historien convaincu d’avoir appuyé une théorie sur des documents falsifiés. S’être laissé tromper en prenant au sérieux des documents qui n’en sont pas, rien n’est plus propre à couvrir un historien de confusion.

  1. Une des formes les plus grossières (et les plus répandues) du « manque de critique » est celle qui consiste à employer comme des documents et sur le même pied que des documents, ce que les auteurs modernes ont dit à propos des documents. Les novices ne distinguent pas assez, dans les affirmations des auteurs modernes, ce qui est ajouté aux sources originales de ce qui en provient.
  2. Voir une liste d’exemples dans le Handbuch de E. Bernheim, p. 283, 289.