Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/130

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n’attache de prix qu’à des observations micrologiques, à la correction parfaite de détails sans importance. La critique des textes et des sources est devenue un sport : la moindre infraction aux règles du jeu est considérée comme impardonnable, alors qu’il suffit de s’y conformer pour être approuvé des connaisseurs, quelle que soit d’ailleurs la valeur intrinsèque des résultats acquis. Malveillance et grossièreté de la plupart des érudits entre eux ; vanité comique des érudits qui construisent des taupinières et les prennent pour des montagnes : ils sont comme le bourgeois de Francfort qui disait avec complaisance : « Alles, was du durch jenen Bogenpfeiler erkennst, alles ist Frankfurter Land[1] ! »

Nous distinguons, quant à nous, trois risques professionnels auxquels les érudits sont exposés : le dilettantisme, l’hypercritique et l’impuissance.

L’impuissance. L’habitude de l’analyse critique a sur certaines intelligences une action dissolvante et paralysante. Des hommes, naturellement timorés, constatent que, quelque soin qu’ils apportent à la critique, à la publication et au classement des documents, ils laissent aisément échapper de menues erreurs ; et, de ces menues erreurs, leur éducation critique leur a inspiré l’horreur, la terreur. Constater des malpropretés de ce genre dans un travail signé d’eux, lorsqu’il est trop tard pour les effacer, leur cause une souffrance aiguë. Ils en viennent à un état maladif d’angoisse et de scrupule qui les empêche de faire quoi que ce soit, par crainte des imperfections probables. L’examen rigorosum qu’ils s’infligent continuellement à eux-mêmes les immobilise. Ils l’infligent aussi aux

  1. J. v. Pflugk-Harttung, o. c., p. 21.