Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/132

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profession ont une tendance à considérer la critique externe des documents comme un jeu d’adresse, difficile, mais intéressant (tel, le jeu d’échecs) en raison même de la complication de ses règles. Il en est que le fond des choses, et, pour tout dire, l’histoire, laissent indifférents. Ils critiquent pour critiquer, et l’élégance de la méthode d’investigation importe bien davantage, à leurs yeux, que les résultats, quels qu’ils soient. Ces virtuoses ne s’attachent pas à relier leurs travaux à quelque idée générale, par exemple à critiquer systématiquement tous les documents relatifs à une question, pour s’en procurer l’intelligence ; ils critiquent indifféremment des textes relatifs à des questions très diverses, à la seule condition que ces textes soient gravement corrompus. Ils se transportent, munis de leur instrument, la critique, sur tous les terrains historiques où une énigme embarrassante sollicite leur ministère ; cette énigme résolue, ou, tout au moins, débattue, ils en cherchent d’autres, ailleurs. Ils laissent, non pas une œuvre cohérente, mais une collection disparate de travaux sur des problèmes de toute espèce qui ressemble, comme dit Carlyle, à une boutique d’antiquaire, à un archipel d’îlots.

Les dilettantes défendent le dilettantisme par des arguments assez plausibles. D’abord, disent-ils, tout est important ; en histoire, pas de document qui n’ait du prix : « Aucune œuvre scientifique n’est stérile, aucune vérité n’est inutile à la science… ; il n’y a pas, en histoire, de petit sujet » ; par conséquent, « ce n’est point la nature du sujet qui fait la valeur d’un travail, c’en est la méthode[1] ». Ce qui importe, en histoire, ce ne sont pas « les notions que l’on entasse,

  1. Revue historique, LXIII (1897), p. 320.