Aller au contenu

Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

II. Ici, comme toujours en histoire, la méthode consiste à résister au premier mouvement. Il faut se pénétrer de ce principe, évident mais souvent oublié, qu’un document ne contient que les idées de l’homme qui l’a écrit et il faut se faire une règle de commencer par comprendre le texte en lui-même, avant de se demander ce qu’on en peut tirer pour l’histoire. Ainsi on

    risquent fort de ne pas les comprendre ou de les comprendre à faux. C’est qu’en effet entre le texte et l’esprit prévenu qui le lit il s’établit une sorte de conflit inavoué ; l’esprit se refuse à saisir ce qui est contraire à son idée, et le résultat ordinaire de ce conflit n’est pas que l’esprit se rende à l’évidence du texte, mais plutôt que le texte cède, plie et s’accommode à l’opinion préconçue par l’esprit… Mettre ses idées personnelles dans l’étude des textes, c’est la méthode subjective. On croit regarder un objet, et c’est sa propre idée que l’on regarde. On croit observer un fait, et ce fait prend tout de suite la couleur et le sens que l’esprit veut qu’il ait. On croit lire un texte et les phrases de ce texte prennent une signification particulière suivant l’opinion antérieure qu’on s’en était faite. Cette méthode subjective est ce qui a jeté le plus de trouble dans l’histoire de l’époque mérovingienne… C’est qu’il ne suffisait pas de lire les textes, il fallait les lire avant d’avoir arrêté sa conviction. » (Monarchie franque, p. 31.) — Pour la même raison Fustel condamnait la prétention de lire un document à travers un autre document ; il protestait contre l’usage d’expliquer la Germanie de Tacite par les Lois barbares. Voir, dans la Revue des questions historiques, 1887 t. I, la leçon de méthode, De l’analyse des textes historiques, donnée à propos d’un commentaire de Grégoire de Tours par M. Monod. « C’est par l’analyse exacte de chaque document que l’historien doit commencer son travail… L’analyse d’un texte… consiste à établir le sens de chaque mot, à dégager la vraie pensée de celui qui a écrit… Au lieu de chercher le sens de chaque phrase de l’historien et la pensée qu’il y a mise, il [M. Monod] commente chaque phrase à l’aide de ce qui se trouve ou dans Tacite ou dans la loi salique… Il faut bien s’entendre sur l’analyse. Beaucoup en parlent, peu la pratiquent… Elle doit, par une étude attentive de chaque détail, dégager d’un texte tout ce qui s’y trouve ; elle ne doit pas y introduire ce qui ne s’y trouve pas. » — Après avoir lu ces excellents conseils il sera instructif de lire la réponse de M. Monod (dans la Revue historique) ; on y verra que Fustel lui-même n’a pas toujours pratiqué la méthode qu’il recommande.