Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/201

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L’invraisemblance n’est pas une notion scientifique ; elle varie avec les individus : ce que chacun trouve invraisemblable, c’est ce qu’il n’est pas habitué à voir ; pour un paysan le téléphone est beaucoup plus invraisemblable qu’un revenant ; un roi de Siam a refusé de croire à l’existence de la glace. Il faut donc préciser à qui le fait paraît invraisemblable. — Est-ce à la masse sans culture scientifique ? Pour elle la science est plus invraisemblable que le miracle, la physiologie que le spiritisme ; sa notion d’invraisemblance est sans valeur. — Est-ce à l’homme cultivé scientifiquement ? Il s’agit alors de l’invraisemblance pour un esprit scientifique, et il serait plus précis de dire que le fait est contraire aux données de la science, qu’il y a désaccord entre les observations directes des savants et les renseignements indirects des documents.

Comment doit se trancher ce conflit ? La question n’a pas grand intérêt pratique ; presque tous les documents qui rapportent des faits miraculeux sont déjà suspects par ailleurs, et seraient écartés par une critique correcte. Mais la question du miracle a soulevé de telles passions qu’il peut être bon d’indiquer comment elle se pose pour les historiens[1].

La croyance générale au merveilleux a rempli de faits miraculeux les documents de presque tous les peuples. Historiquement le diable est beaucoup plus solidement prouvé que Pisistrate : nous n’avons pas un seul mot d’un contemporain qui dise avoir vu Pisistrate ; des milliers de « témoins oculaires » déclarent avoir vu le diable, il y a peu de faits historiques établis sur un pareil nombre de témoignages indépendants.

  1. Le P. de Smedt a consacré à cette question une partie de ses Principes de la critique historique (Paris, 1887, in-12).