Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/244

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II. Le raisonnement négatif, appelé aussi « argument du silence », part de l’absence d’indications sur un fait[1]. De ce qu’un fait n’est mentionné dans aucun document, on infère qu’il n’a pas existé ; l’argument s’applique à toute sorte de faits, usages de tout genre, évolutions, événements. Il repose sur une impression qui dans la vie s’exprime par la locution familière : « Si c’était arrivé, on le saurait » ; il suppose une proposition qui devrait se formuler ainsi : « Si le fait avait existé, il y aurait un document qui en parlerait ».

Pour avoir le droit de raisonner ainsi il faudrait que tout fait eût été observé et noté par écrit, et que toutes les notations eussent été conservées ; or la plupart des documents qui ont été écrits se sont perdus et la plupart des faits qui se passent ne sont pas notés par écrit. Le raisonnement serait faux dans la plupart des cas. Il faut donc le restreindre aux cas où les conditions qu’il suppose ont été réalisées.

1o  Il faut non seulement qu’il n’existe pas de document où le fait soit mentionné, mais qu’il n’en ait pas existé. Si les documents se sont perdus, on ne peut rien conclure. L’argument du silence doit donc être employé d’autant plus rarement qu’il s’est perdu plus de documents, il peut servir beaucoup moins pour l’antiquité que pour le xixe siècle. — On est tenté, pour se débarrasser de cette restriction, d’admettre que les documents perdus ne contenaient rien d’intéressant ; s’ils se sont perdus, dit-on, c’est qu’ils ne valaient pas la peine d’être conservés. En fait, tout document

  1. La discussion de cet argument, fort employé autrefois en histoire religieuse, a beaucoup occupé les anciens auteurs qui ont écrit sur la méthodologie et tient encore une grande place dans les Principes de la critique historique, du P. de Smedt.