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savons, d’avoir suivi un cours régulier de « sciences auxiliaires » ou d’avoir lu attentivement les meilleurs traités didactiques de Bibliographie, de Paléographie, de Philologie, etc., ni même d’avoir acquis, par des exercices pratiques, quelque expérience personnelle, pour être toujours bien renseigné, encore moins pour être infaillible. — D’abord, ceux qui ont étudié longtemps des documents d’un certain genre ou d’une certaine date possèdent, au sujet des documents de ce genre et de cette date, des notions intransmissibles qui leur permettent en général de critiquer supérieurement les documents nouveaux, de ce genre ou de cette date, qu’ils rencontrent ; rien ne remplace l’« érudition spéciale », récompense des spécialistes qui ont beaucoup travaillé[1]. — Et puis, les spécialistes eux-mêmes se trompent : les paléographes ont à se tenir constamment sur leurs gardes pour ne pas déchiffrer de travers ; est-il des philologues qui n’aient pas quelques contresens sur la conscience ? Des érudits très bien informés d’ordinaire ont imprimé comme inédits des textes déjà publiés et négligé des documents qu’ils auraient pu connaître. Les érudits passent leur vie à perfectionner sans cesse leurs connaissances « auxiliaires », que,

  1. Que faut-il entendre au juste par ces « notions intransmissibles » dont nous parlons ? Dans le cerveau d’un spécialiste très familier avec les documents d’une certaine espèce ou d’une certaine époque, des associations d’idées se lient, des analogies brusquement luisent à l’examen d’un document nouveau de cette espèce ou de cette époque, qui échappent à toute autre personne moins expérimentée, fût-elle munie d’ailleurs des répertoires les plus parfaits. C’est que toutes les particularités des documents ne sont pas isolables ; il y en a qu’il est impossible de classer sous des rubriques claires, et qui ne se trouvent, par conséquent, répertoriées nulle part. Mais la mémoire humaine, quand elle est bonne, en garde l’impression ; et une excitation, même faible et lointaine, suffit à en faire réapparaître la notion.