Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
l’action et l’intrigue.

ment pas, ils expriment ceux qui les font, la scélératesse de Perpenna, l’ingratitude d’Orode, l’adresse d’Exupère. Or que me font Perpenna, Orode, Exupère ? Je les connais peu ; je ne les aime pas ; tout au plus les regardé-je comme de curieux originaux. Mais je ne m’émeus pas pour eux, pas même contre eux.

Car nous ne sommes pas dans la tragédie grecque ni dans le mélodrame, où l’on nous présente des hommes comme malheureux et souffrants. Écrasés par le destin, persécutés par des méchants, ils gémissent, et nous pleurons. Mais je ne pleure pas sur le héros cornélien qui ne gémit pas ; il n’est pas assez persuadé d’être une victime ; il consent trop fièrement à sa destinée. Pourquoi jugerais-je les choses autrement que lui ? Il croit triompher dans la mort : tant mieux pour lui. Une femme artificieuse envoie Théodore au supplice : mais la vierge chrétienne met sa félicité dans la souffrance reçue pour son Dieu. Un prince ingrat assassine Suréna : mais Suréna dédaigne une trahison qui n’a de prise ni sur sa volonté ni sur sa gloire. Nicomède, arrêté, ne frémit pas ; délivré, il n’exulte pas. Je participe à son calme. Voilà comment Corneille arrive à faire des pièces où il y a des criminels et pas de victimes, des malheurs et pas de malheureux. On s’étonne, quelquefois on admire : on n’est ni effrayé, ni attendri. On sait que cela ne finit jamais mal pour le héros, même s’il meurt.

Mais alors ces complots des méchants, ces dénouements sanglants nous font l’effet de simples machines de théâtre. L’impassibilité du héros ré-