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CORNEILLE.

que faire jaillir leur grandeur d’âme en discours exaltés. Du coup la porte sera rouverte au lyrisme.

Mais Corneille n’est pas lyrique, et il ne laisse pas sa tragédie s’attarder à des chants de souffrance même triomphale. Si le protagoniste n’agit plus, ce sera pourtant sa puissance d’agir qu’il étudiera : et il s’appliquera à noter moins la misère de son destin que la tension de sa volonté, qui fait équilibre à toutes les pressions du dehors. Pour mesurer exactement cette tension, le poète fera agir contre lui les personnages secondaires. Viriate, Aristie, Perpenna donneront assaut à la volonté de Sertorius. Vinius, Martian, Lacus, Camille investiront Othon. Arsinoé, Flaminius, Attale travailleront contre ou pour Nicomède. Autour de Théodore s’agitera l’action de son martyre : elle, comme un terme qui n’a ni bras ni jambes, selon le mot expressif de Corneille, n’y concourra que du cœur, qui s’offre à Dieu et défie le monde.

Et voilà bien la raison de la froideur qui, dès Théodore et dès Nicomède, glace la tragédie cornélienne, la rendant presque injouable, en dépit des beautés de caractère et des délicatesses de psychologie, en dépit de l’originalité des peintures de la vie politique. Les héros sont des termes imposants, mais des termes : l’action vient des comparses. Quoi qu’en pense Corneille, elle n’exprime plus les héros. Rodrigue, Chimène, s’expriment par l’action du Cid : le pardon des conjurés, le martyre sont le passage de la vertu à l’acte pour Auguste et pour Polyeucte. Mais que Sertorius ou Suréna soient assassinés, qu’Héraclius monte au trône, ces faits ne les expri-