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CORNEILLE.

de passion, un peu d’affection, beaucoup d’intérêt, voilà le train commun de la vie. Et c’est encore pourquoi Corneille se plaît à ces demi-passions qui ne détruisent ni les affections ni les intérêts, qui s’accommodent et prennent des biais, comme il en peut naître dans les cœurs des rois et les cabinets des princes, parmi les grandes affaires. Ni elles ne prennent toute l’âme, ni on ne les suit jusqu’au bout : elles s’asservissent sans trop de peine, si elles ne s’abolissent pas ; ou bien elles rentrent, pour demeurer dans l’âme comme de fines et secrètes blessures, ne pouvant devenir de visibles et puissants principes d’action.

Là plus rien d’extrême ; l’ambition garde des mesures, et use de l’intrigue plus que du crime, comme chez Vinius ou Aspar[1] ; l’amour se soumet à la raison, observe l’intérêt politique, comme chez Sertorius, Othon,ou Martian ; même malheureux ou trahi, il ne s’emporte pas, il se contient ; la plaie saigne en dedans et l’âme exprime son angoisse à demi-mots, sans un cri. Ou tempérée en sa force, ou modérée en son langage, voilà bien la passion qui convient à des personnages instruits à s’observer, à se contraindre, et qui sentent toujours peser sur eux le poids de la chose publique, ou celui de leur dignité. Le paraître leur est aussi essentiel que l’être ; la spontanéité est réduite ; et ils ne peuvent plus rien faire sans avoir consulté avec eux-mêmes s’il faut le faire et quelle idée cela donnera d’eux.

En ce genre le caractère de Martian est un chef--

  1. Othon, Pulchérie.