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LES CARACTÈRES ET LES PASSIONS.

et de Pertharite, où ces modèles d’époux témoignent de s’aimer au-dessus de tout.

Bien curieuse est aussi, dans Pulchérie, la peinture de l’amour paternel et filial, sous les noms de Martian et de Justine : le père âgé, la fille mûre, et dès lors le respect de la fille, l’autorité du père se tempérant de réciproque confiance, le père tenant sa fille pour sa meilleure amie, la fille ayant un confident dans son père.

Corneille a donné une toute particulière attention à l’affection fraternelle. Il ne s’est pas plu, comme la plupart de ses devanciers et successeurs, pour nous faire frémir, à nous présenter des haines de frères : mais, dans la simple et peu tragique réalité, il a regardé l’amitié des frères et des sœurs ; il a rendu, dans Pulchérie et dans Suréna, cette nuance très délicate de tendre confidence qui existe entre frères et sœurs. Ailleurs, ce sont deux frères, Antiochus et Séleucus, que même la rivalité d’amour ne saurait refroidir et qui s’aiment avec une exaltation sentimentale très touchante en sa juvénile naïveté.

Nisard a critiqué toutes ces « scènes de ménage » ordinaires chez Corneille : je ne dis pas qu’elles soient tragiques, mais leur vérité familière m’en plaît, comme rapprochant l’art de la vie. La tragédie chez nous n’avait que trop de pente à se détacher de la réalité vivante pour se tourner en idéal romanesque, et en mécanisme artificiel : il faut aimer Corneille d’avoir su y faire apparaître une très simple et très commune humanité.

Les grandes passions sont rares, et presque aussi exceptionnelles que les grands dévouements. Un peu