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CORNEILLE.

obligée de préférer son amour à toute chose, elle veut gâter la victoire de son frère, qui lui a tué son amant ; sa malédiction sur Rome n’éclate point comme l’explosion involontaire d’une âme trop pleine : c’est une démarche calculée, à laquelle elle s’est mûrement excitée. Ce n’est point une folle douleur, mais une vendetta froide. Et parce qu’Horace s’estime obligé de préférer à toute chose sa patrie, il ne tolère point la malédiction de sa sœur : il la tue par « raison » : là non plus il n’y a pas une folie féroce, mais une froide justice. Les actions ne sont pas les égarements de deux âmes passionnées : jamais les personnages ne sont plus eux-mêmes que dans ces exaltations où ils mettent en acte l’essence même de leur être. Ce sont des fanatiques réfléchis, qui voient, qui veulent, et qui ne regretteront jamais, parce que ce n’est pas à leur colère, mais à leur idée qu’ils donnent leur vie et la vie d’autrui.

Combien Corneille tenait à cette conversion de l’impulsion passionnelle en énergie volontaire, on le voit dès qu’on examine comment il a traité la plus aveugle, la plus effrénée, la plus capricieuse de toutes les passions, l’amour.

Il a trop le sens du réel pour ne pas savoir que l’amour est, en son principe, inexplicable : personne ne l’a plus répété que lui.

Il est des nœuds secrets, il est des sympathies
Dont par le doux rapport les âmes assorties
S’attachent l’une à l’autre, et se laissent piquer
Par ces je ne sais quoi qu’on ne peut expliquer.

Souvent je ne sais quoi qu’on ne peut exprimer
Nous surprend, nous emporte, et nous force d’aimer.