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CORNEILLE.

crise, et toute une âme, sentiment, raison, volonté, qui se renouvelle en souffrant.

Mais Polyeucte et Pauline, dès l’origine, aiment le bien, et connaissent un vrai bien ; leur progrès ne consiste qu’à s’élever. Voici quelque chose de plus curieux : une âme mauvaise quittant le mal, et se transformant en âme généreuse. Auguste a été un tyran cruel et sanguinaire. Il a aimé le pouvoir comme le suprême bien. Lorsqu’il l’a, il en conçoit le vide ; il s’aperçoit qu’il a travaillé pour le néant : il est las, dégoûté,

Et monté sur le faîte, il aspire à descendre.


Il abdiquerait volontiers : la belle gloire, le beau triomphe d’amour-propre, de rejeter l’empire, l’ayant usurpé, de montrer à l’univers, après la force qui prend, le dédain qui lâche ! Mais ses conseillers l’attachent à cette grandeur qui n’a plus de joies pour lui : le voilà prisonnier de ce pouvoir qu’il avait ravi, esclave de ce peuple qu’il avait cru asservir ; c’est de quoi achever de déprendre un ambitieux. À ce moment il apprend que l’on conspire contre lui : et qui ? ceux-là même, à qui il se fiait le plus. Ainsi il n’a pas pris les âmes : il est seul, en sa grandeur. Dans l’amertume de cette découverte, il se fait justice ; il absout ses assassins : n’a-t-il pas versé plus de sang qu’ils n’en veulent répandre ? Il se compare avec eux, et s’humilie par cette comparaison. Il se convainc de l’inutilité des supplices, de l’impuissance de la force : cette âme despotique et violente ne peut se résoudre à des cruautés vaincues d’avance ; tout moyen qui n’est pas efficace, qui n’est pas une