Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
LES CARACTÈRES ET LES PASSIONS.

victoire, lui répugne. Une indécision douloureuse le déchire. Sa femme lui conseille le pardon comme une mesure politique : il le rejette avec dépit ; pardonner, épargner pour être épargné, c’est céder ; c’est une défaite, tout au moins une capitulation. Il aime mieux abdiquer ou périr : au moins dans ce renoncement même, il y a un effort, il y a une victoire. Et il s’achemine ainsi à chercher en lui-même l’ennemi à vaincre. Cependant les habitudes de l’orgueil tyrannique l’entraînent : la présence de Cinna, ses bravades l’irritent ; il l’écrase, il le menace : mais voilà qu’Émilie, sa fille adoptive, se présente, et puis Maxime, son fidèle conseiller ; ils demandent part au supplice comme ils ont eu part au complot. C’est le coup de grâce pour le tyran qui s’agite encore en Auguste : il lui faut tout tuer, et à cette heure, il n’a plus l’âme qu’il faut pour verser tant de sang. C’est alors qu’il conçoit que l’acte unique qui lui soit ouvert est aussi l’acte le plus beau, que l’exercice de la liberté est la seule puissance de l’homme, et la seule où il n’y ait ni mécompte ni défaite : il voit plus de grandeur à vaincre en soi la volonté de punir qu’à punir en effet. Il pardonne, quoi qu’il en doive advenir : il a mis son bonheur à ne dépendre que de soi en se rendant maître de soi.

Je suis maître de moi comme de l’univers :
Je le suis, je veux l’être. Ô siècles, ô mémoire,
Conservez à jamais ma dernière victoire.

Il reste empereur, non par ambition ni même par devoir civil, mais pour affronter les conséquences de son acte, prêt à les subir.