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LES CARACTÈRES ET LES PASSIONS.

considérants d’une délibération, la force des motifs et des conseils : du fond de l’être intime, insoupçonné, jaillit l’acte, résultat logique, et pourtant imprévu des consultations antérieures, création volontaire et pourtant spontanée de l’âme, qui en un instant, par une intuition immédiate, a jugé la situation sans issue et s’est ouvert une issue. L’acte résume tous les motifs, mais de combien il les dépasse ! Les calculs précèdent ; mais au moment d’agir, il n’y a plus de calculs : toute l’âme va d’un seul élan vers le bien reconnu.

Et c’est là qu’est proprement le sublime cornélien. Examinez les endroits où vous ressentez l’impression indéfinissable à laquelle on a appliqué ce mot de sublime :

Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées,
La vertu n’attend pas le nombre des années,


et tout ce dialogue. Ou encore :

Que vouliez-vous qu’il fit contre trois ? — Qu’il mourût.
Où le conduisez-vous ? — À la mort, à la gloire.


Ces mots et les autres pareils surprennent et satisfont tout à la fois le spectateur. Ils saisissent par la grandeur inconnue qu’ils découvrent, ils contentent comme indiquant le seul passage convenable au personnage dans une situation embarrassée. Ces héros de Corneille font ou disent ce que personne ne saurait faire ou dire : d’où l’étonnement. Mais ils font et disent ce qu’il leur est nécessaire de faire et dire pour être eux-mêmes : d’où la satisfaction.

Si la soudaineté de ces répliques en fait l’impérieuse beauté, c’est pour une raison un peu plus