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CORNEILLE.

imprima en 1632, ne lui auraient pas donné la gloire. Mais, à cette date, il avait trouvé sa voie : il avait fait jouer Mélite en 1629.

La tradition veut que cette comédie soit née d’une aventure réelle : Corneille, dit-on, introduit par un ami chez une jeune fille qui en était aimée, supplanta son introducteur comme Tirsis supplante Éraste auprès de Mélite ; le plaisir de ce succès lui donna l’idée d’en faire une comédie, où il introduisit un sonnet qu’il avait fait pour la demoiselle, et qui lui avait plu.

L’abbé Granet nous apprend que Mélite était une « Madame du Pont, femme d’un maître des comptes de Rouen », et que le poète l’avait connue « toute petite fille ». Elle s’appelait Catherine Hue, était née en 1611. Il y avait beau temps que leurs amours avaient cessé, lorsque la belle devint, au plus tard en 1637, Madame du Pont. Corneille nous a longuement parlé de son ancienne passion dans l’Excuse à Ariste, publiée en 1637.

J’ai brûlé fort longtemps d’une amour assez grande,
Et que jusqu’au tombeau je dois bien estimer,
Puisque ce fut par là que j’appris à rimer.
Mon bonheur commença quand mon âme fut prise ;
Je gagnai de la gloire[1] en perdant ma franchise.
Charmé de deux beaux yeux, mon vers charma la cour,
Et ce que j’ai de nom, je le dois à l’amour.
J’adorai donc Philis ; et la secrète estime
Que ce divin esprit faisait de notre rime,
Me fit devenir poète aussitôt qu’amoureux :
Elle eut mes premiers vers, elle eut mes derniers feux ;

  1. Donc c’est bien une comédie qu’il a rimée ; car de Mélite seule, et non de ses autres vers, il peut dire qu’il tira de la gloire.