Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
LA VIE ET L’HOMME.

Et bien que maintenant cette belle inhumaine
Traite mon souvenir avec un peu de haine,
Je me trouve toujours en état de l’aimer :
Je me sens tout ému quand je l’entends nommer,
Et par le doux effet d’une prompte tendresse,
Mon cœur, sans mon aveu, reconnaît sa maîtresse.
Après beaucoup de vœux et de submissions,
Un malheur rompt le cours de nos affections ;
Mais toute mon amour en elle consommée,
Je ne vois rien d’aimable après l’avoir aimée :
Aussi n’aimai-je plus, et nul objet vainqueur
N’a possédé depuis ma veine ni mon cœur.
Vous le dirai-je, ami ? tant qu’ont duré nos flammes.
Ma muse également chatouillait nos deux âmes.
Elle avait sur la mienne un absolu pouvoir ;
J’aimais à le décrire, elle à le recevoir.
Une voix ravissante, ainsi que son visage,
La faisait appeler le phénix de notre âge….

Voilà, je crois, tout ce que l’on peut savoir de l’amour de Corneille pour Catherine Hue : une jolie fille, qui avait une belle voix et de l’esprit, prit du goût pour le poète et pour ses vers. Tout le détail qu’on ajoute est légende suspecte ou fausse broderie. Tout au plus peut-on accepter le dire de Fontenelle, que la situation principale de la comédie reproduit l’incident caractéristique de la passion de l’auteur. Mais prétendre tourner toute la comédie en souvenirs précis de la vie, ou interpréter comme document biographique un dialogue de Tirsis et Caliste qu’on trouve dans les Mélanges poétiques, c’est pure fantaisie. Dans quelle comédie ne voit-on pas l’ingénue résister à l’appât du « bien », et préférer un amant moins pourvu, mais plus aimable ? Quant au dialogue, le rythme seul, avec le refrain, est original : Montemayor, Desportes avaient traité le même thème en distiques alternés ; cet entretien de deux