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CORNEILLE.

le cœur et donner de l’angoisse, dans l’attente fiévreuse de l’incident qui démêlera tout. Corneille donc devance ici le mélodrame du xixe siècle, à moins qu’il ne retourne à la tragédie du xvie.

Mais d’abord, est-ce par trois pièces qu’on peut juger de tout un théâtre ? Et cherchera-t-on plutôt Corneille dans Don Sanche, Héraclius ou Rodogune, que dans le Cid, Polyeucte et Cinna ? Si l’on pensait que ces tragédies, qui ont suivi les chefs-d’œuvre, nous marquent de quel côté le tempérament de Corneille l’incline, sur quelle pente il s’abandonne, on se tromperait : car dès Nicomède, il a repris sa voie ; et toutes les pièces des quinze dernières années, après sa rentrée, procéderont de Nicomède, aucune du premier acte de Don Sanche, du cinquième de Rodogune ou du quatrième d’Héraclius. Toutes seront des études de psychologie et de politique. Loin de représenter l’originalité de Corneille, ces sujets — accidentels dans son œuvre — sont des survivances du théâtre antérieur, relèvent de la tragédie pathétique et de la tragi-comédie romanesque auxquelles le Cid avait porté le coup de grâce.

Mais la marque de Corneille, dans ces sujets, c’est d’avoir fait effort pour les réduire au drame psychologique. M. Brunetière l’a justement remarqué : jamais la psychologie de Corneille n’a été plus fine, plus nuancée que dans les quatre premiers actes de Rodogune, en attendant le coup de tonnerre du cinquième acte, il nous a intéressé aux délicatesses des sentiments des deux frères, si pareils et pourtant si distincts. Il a essayé de préparer l’incertitude finale par des causes morales, par le duel