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l’action et l’intrigue.

et les caractères des deux femmes : il a pris le moins qu’il a pu d’incidents extérieurs et de signes matériels. Pour Héraclius, la pièce est un tissu d’intrigues où les vues de Léontine et les combinaisons d’Exupère produisent tout : qui aime la politique en peut trouver là, aussi subtile et byzantine qu’on peut la souhaiter. Et ce Phocas, dans le tableau des caractères cornéliens, représente, comme je l’ai dit, la misère d’une volonté sans motifs, qui aspire à l’action et ne voit pas de possibilité d’agir.

Enfin est-ce la peine de parler de Don Sanche ? quand le romantisme du premier acte aura séduit le lecteur, quand il admirera le grand Corneille d’avoir fait un drame de cape et d’épée, qu’il lise la suite : il verra bien vite qu’il n’y a plus rien dans les derniers actes que de la psychologie, un développement souvent subtil et curieux, toujours moral et intérieur, et tout en discours, des données du premier acte. Ce romantisme de Don Sanche, ce n’est qu’une exposition brillante, à l’espagnole : ce n’est pas la pièce, qui est aussi sévèrement classique que Cinna.

Il suffit de définir exactement ce qu’on entend par mélodrame pour comprendre que Corneille n’y tend pas du tout. Le mélodrame est une tragédie dont le but unique est d’agiter la sensibilité du spectateur en excitant sa curiosité. Les faits doivent surprendre par leur enchaînement imprévu, émouvoir par leur valeur pathétique. Ce qu’on appelle caractères et sentiments, ne sont que des silhouettes ou des attitudes capables d’« impressionner » par l’intensité de la bonté, vaillance ou scélératesse