Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
l’action et l’intrigue.

dane, sœur du roi. Qu’il consente à l’épouser, il est hors de péril. Pendant cinq actes, il dira non, parce qu’il ne saurait descendre à faire un mariage sans amour, pour sa sûreté. Pendant cinq actes, il saura prévoir qu’il périra par ce non, et il ne cherchera pas un moyen de salut, parce qu’il est au-dessous de lui de combattre en rebelle ou de se dérober en fugitif.

Cette psychologie de la volonté qui semblait introduire dans le drame un principe inépuisable d’activité, aboutit donc à la cessation de toute activité. La plénitude de la victoire héroïque supprime toute lutte, puis tout mouvement. La perfection de la volonté active se réalise dans un superbe non-agir ; quelle action, en effet, précise et déterminée, serait l’expression adéquate de ce vouloir infini ? Ainsi toutes les impulsions supprimées, consciente et contente de soi, sans désir ni regret, l’âme attend le destin, elle veut l’inévitable. Elle fait de la nécessité subie l’acte suprême de la liberté.

Donc le héros cornélien, extérieurement passif, battu des événements et des hommes, intérieurement actif, résistant aux événements et aux hommes, ramènera la tragédie à son point de départ : le tragique sera la catastrophe d’une grande âme, immobile et opprimée. Nicomède et Suréna rejoindront le Sédécie de Garnier. Et comme ils ne voudront rien faire que se prêter au destin, comme ils ne traduiront plus en des actes particuliers leur noblesse intérieure, ainsi que faisaient le Cid et Polyeucte : en attendant que le destin les tue ou les délivre, ces derniers héros de Corneille ne pourront