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LA VIE ET L’HOMME.

propre de chercher les occasions d’être vaincu par des gens qui ne le valaient pas. L’amour ne pouvait être la carrière de ce bourgeois tranquille et laborieux : et le poète qui était en lui trouvait plus de bonheur à faire jouer les belles passions dans des êtres imaginaires qu’à les exercer en propre personne.

Cependant Mélite avait réussi : d’autres pièces avaient suivi ; le petit robin de Rouen était l’égal des plus illustres auteurs, de M. du Ryer, de M. de Scudéry, de M. Mairet. Il pouvait dire dès 1633 :

Me pauci hic fecere parem nullusque secundum.

« Peu sont mes égaux au théâtre, et personne ne me passe. » Il écrivait cela dans une Excuse en vers latins qu’il adressait à l’archevêque de Rouen pour décliner l’invitation de consacrer son talent poétique à chanter Louis XIII et Richelieu : le roi et le cardinal étaient aux eaux de Forges, et le prélat voulait faire sa cour par la bouche des poètes de son diocèse. Mais Corneille, avec une fière modestie, ne s’aventura pas à rivaliser avec les Godeau et les Chapelain ; il affirma sa volonté de se restreindre à la scène, où il ne craignait personne. En ce temps-là, il ne touchait pas encore de pension.

On ne lui sut pas mauvais gré de son refus. Le cardinal, s’il ne connaissait pas encore les comédies de Corneille, en vit jouer sans doute quelqu’une par Mondory pendant le séjour de Forges : et bientôt après nous trouvons le poète embrigadé parmi les cinq auteurs qui travaillaient sur les idées du maître. La tradition veut que Corneille ait collaboré à la Comédie des Tuileries (1635) et qu’il ait été