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CORNEILLE.

amants qui s’assurent de leur foi réciproque n’est qu’un lieu commun de la poésie du xvie siècle. J’estime même que ni dans Mélite, ni dans le fameux sonnet, ni dans aucune pièce galante des Mélanges, l’amour ne s’exprime aussi bien que dans les vers de l’Excuse à Ariste qu’on vient de lire :

Je me sens tout ému quand je l’entends nommer,


dit le poète, et il semble qu’il ait plus de tendresse dans le souvenir de l’amour qu’il n’en avait dans l’amour même : au moins il y parle nuement, sans prendre le style à la mode, et la sincérité du sentiment transparaît. Il semble même que ce n’est pas une parole de poète, quand Corneille déclare à Ariste qu’il n’a plus aimé depuis que cette belle passion a pris fin. Du moins ne trouve-t-on plus trace dans ses œuvres diverses d’une galanterie sérieuse ; ce fut au seuil de la vieillesse seulement qu’il sentit son cœur se réveiller. Peut-être une fière justice qu’il se rendit le retira-t-elle de l’emploi d’amoureux : il avait pu être galant en sa première jeunesse ; l’âge l’emportait ; mais, en mûrissant, il connut ses moyens, sa difficile et pesante élocution, sa gaucherie, qui le faisaient peu propre à la cajolerie :

En matière d’amour, je suis fort inégal ;
J’en écris assez bien, et le fais assez mal ;
J’ai la plume féconde et la bouche stérile,
Bon galant au théâtre, et fort mauvais en ville ;
El l’on peut rarement m’écouter sans ennui
Que quand je me produis par la bouche d’autrui.


Comme au reste la tendresse et la passion n’étaient pas des besoins de sa nature, il s’abstint par amour--