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CORNEILLE.

Ou bien dans Polyeucte, quand les deux personnages se sont tout dit, sans s’entamer, mais vibrent trop profondément pour se taire instantanément :

Imaginations ! — Célestes vérités ! —
Étrange aveuglement ! — Eternelles clartés !

Ce n’est qu’un éclair : mais chacune des âmes a chanté sa foi, et aussitôt le dialogue pratique, polémique reprend : Va, cruel, va mourir, etc.

J’ai montré par quelle nécessité interne le héros cornélien devenant de moins en moins capable de s’abaisser à l’action, la tragédie par la disposition de l’action tendait à se rapprocher de la tragédie pathétique. C’est dire que le lyrisme y peut retrouver place, et en effet à chaque moment des situations lyriques s’indiquent : j’entends par là des situations aptes à tirer du personnage plutôt un chant qu’une action.

Dans cet état est Cornélie, tenant en ses mains l’urne de Pompée : le lyrisme se déguise en appel d’énergie ; mais cette énergie n’a pas à se dépenser pour l’intrigue ; elle n’est qu’une exaltation verbale, où l’âme se satisfait en s’épanchant.

Dans Sertorius, Aristie fait entendre un hymne d’allégresse, qui a aussitôt sa contre-partie dans un hymne de haine, selon qu’elle songe à l’amour ou à la politique de Pompée. Le morceau est curieux, parce qu’un rythme lyrique s’y indique, dans l’entrecroisement des deux motifs et leur transformation :

Sortez de mon esprit, ressentiments jaloux :
Noirs enfans du dépit, ennemis de ma gloire,
Tristes ressentiments, je ne veux plus vous croire.
Quoi qu’on m’ait fait entendre, il ne m’en souvient plus.