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CORNEILLE.

les répliques se choquent, vers contre vers, demi-vers contre demi-vers, avec une symétrie souvent rigoureuse. Il est banal de comparer ces parties à des jeux d’escrime où les attaques et les ripostes se succèdent avec une rapidité, une précision foudroyantes : mais si c’est banal, c’est juste. Aucun écrivain dramatique n’a traité cette forme du dialogue avec la maîtrise de Corneille : il n’y a rien de plus brusque, de plus nerveux, de plus vif, qui donne plus la sensation de la vie, qui rende mieux l’impression du choc réel des volontés.

Enfin, le mouvement, c’est encore le rythme du vers : et le vers cornélien s’harmonise avec tout le reste merveilleusement. Corneille est un excellent ouvrier du vers. Je ne sais comment on a pu dire que Corneille n’avait cure du rythme et manquait d’oreille. Il y a deux façons de faire le vers en français (sans compter les mauvaises, qui sont multiples ) : il y a le vers de Racine ou de Lamartine, chair vivante, souple, qui ploie, et s’ondule, et glisse, qui enveloppe sa ferme armature dans la mollesse des contours ; et il y a le vers de Hugo, bloc de métal, aux cassures vives, aux articulations visibles, se mouvant par une dislocation brusque plutôt que par un glissement insensible : ce vers-là fait parfois l’effet d’être dur ; tant il se découpe nettement, vigoureusement, avec ses rythmes tranchés et ses éclats soudains. Or à cette dernière manière se rattache celle de Corneille. Mais le vers de Hugo a d’étonnantes sonorités ; le vers de Corneille, d’une admirable plénitude, est vibrant plutôt que musical ; il a plus de rythme que de chant. Comme le poète