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LANGUE, STYLE, VERS, POÉSIE.

n’estime pas l’image par la couleur, mais par l’intensité, il ne choisit pas le mot pour le timbre, mais pour la mesure : et c’est par le mouvement expressif de la cadence, non par la qualité voluptueuse des sons, qu’il faut juger ses vers. Ils sonnent une marche plutôt qu’ils ne déploient une mélodie.

Dans l’alexandrin. Corneille suit assez docilement la technique de Malherbe : rime pleine, étoffée, juste, sans superstition ; peu d’enjambements, pas d’hiatus : inversions fréquentes, surtout celle des compléments régis par la préposition de. La phrase se découpe naturellement en distiques et en quatrains, et tend même, selon le principe de Maynard, à détacher les vers, en donnant à chacun d’eux un sens plein et complet.

Corneille a usé de ce vers avec une aisance et une adresse parfaites. On sent rarement l’embarras ; rarement on trouve de bourre. Il avait une facilité étonnante, que le travail a cultivée. Je ne crois pas qu’on trouve chez lui beaucoup de mauvais vers, mauvais en tant que vers pour une raison technique : si l’on songe combien de milliers d’alexandrins il a écrits, quelques douzaines de manques ne prouvent pas grand’chose.

Comme il a fait pour les règles des unités, il a usé des règles du vers avec une souple intelligence, connaissant l’esprit de ces règles et n’en faisant pas un rigide formalisme. Il a rompu la monotonie du vers par des coupes ternaires ou des déplacements de césure, parfois par des enjambements.

Toujours aimer — toujours souffrir — toujours mourir.
Ces yeux tendres — ces yeux perçants — mais amoureux.