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LE RAPPORT À LA VIE.

rêverie, dépourvu de sensibilité, ses passions sont de violentes impulsions vers des objets déterminés ; il ne jouit pas de leur agitation ; il n’en fait pas une volupté ; elles lui donnent des fins et des forces pour l’action. Il estime surtout l’action, mais l’action précise et efficace, la poursuite d’un but par des moyens choisis ; surtout l’action volontaire, qui dispose avec réflexion, utilement, de toute la personne. Il n’admire rien tant que la raison, qui tient en bride les passions, les lâche ou les retient, et qui sait profiter ou se garer des circonstances : la parfaite maîtrise de soi est l’idéal qu’il s’efforce de réaliser dans sa vie. Tous les grands hommes de l’époque, ou presque tous, sont des hommes de volonté : un Richelieu qui, à l’âge où l’on ne rêve que bagatelles ou plaisirs, se fixe pour but le ministère, et y marche obstinément pendant douze ou quinze ans ; un Retz qui suit le même but plus tard, mais le manque, politique que jamais une passion n’a dérangé ni précipité, capable d’exprimer avec vérité et de quitter avec facilité tous les sentiments selon le besoin des affaires, disposant de son âme avec une étonnante aisance dans toutes les fortunes. Bossuet, pour déraciner l’ambition du cœur des courtisans, offrait une définition de la puissance, qu’il savait bien qu’on ne lui dénierait pas : vouloir ce qu’il faut, pouvoir ce qu’on veut, sans y faire rien entrer de la satisfaction des appétits, de l’épanouissement voluptueux de la personnalité, où l’on mettrait aujourd’hui la puissance. Et enfin — car à quoi bon multiplier les exemples ? — c’était cette nature cornélienne ou cartésienne, c’est-à-dire