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LE RAPPORT À LA VIE.

coup de caresses, et je n’ai pas non plus de grandes inquiétudes en leur absence. »

Evidemment l’idéal humain a changé depuis Racine, surtout depuis Rousseau. La Rochefoucauld n’était pas sensible, et il s’en vante. S’il l’était, cette vanterie n’est que plus remarquable. S’il n’était pas tel qu’il s’est vu, il a voulu se voir tel qu’il s’est peint, et sa délicatesse de moraliste apporte un témoignage considérable en faveur de la vérité actuelle de la psychologie de Corneille. Elle fait ressortir tout au moins le trait caractéristique, l’aspiration commune des belles natures de ce temps-là.

Même les femmes alors, quand on les regarde dans la vie et non dans les romans, ces grandes aventurières , ces vaillantes héroïnes , ces fières précieuses, ont moins de grâce sentimentale ou de tendresse passionnée que d’esprit énergique et de robustesse virile. Ce sont des créatures de force, de sang riche et chaud, capables de raisonnement et d’action, et traitant les passions comme fournissant la matière des résolutions et l’objet de l’effort : si elles s’attardent dans les préliminaires de l’amour, c’est par curiosité d’esprit et par un exercice de l’esprit : ce n’est pas pour les jouissances du sentiment. Leurs lettres ont la solidité raisonneuse, les explications tirées, les grandes périodes articulées de conjonctions, étagées d’incidentes et de relatives, tout l’esprit enfin et la substance du discours cornélien. Mme de Rambouillet, Mme de Montausier, Mme de Sablé, la grande Mademoiselle, voilà les femmes de Corneille, les modèles des Émilie et des Pauline, et aussi des Pulchérie : Mme de Sévigné