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LE RAPPORT À LA VIE.

et les autres. Pourquoi ne croirions-nous pas qu’il y a des gens qui vont au bout et des unes et des autres ? Nous n’usons guère de notre volonté : mais nous l’avons ; ou nous croyons l’avoir : car là où elle manque, nous appelons cela une maladie. L’homme normal et sain a une volonté. Le plus misérable, le plus faible de nous ne s’abandonne pas à tous les moments de son existence ; et notre vie journalière est tissée de presque autant de résistances à l’instinct, aux tentations, de presque autant de petites victoires sur nous-mêmes et de redressements de notre direction morale, que de faiblesses, de consentements et de déviations.

N’avons-nous jamais dit un non dont nous ayons été bien contents ? n’avons-nous pas tous dans le cœur quelque partie intangible, dont aucune force ne nous ferait rien céder, quelque chose à quoi nous ne saurions renoncer sans renoncer à nous-mêmes ? et ne connaissons-nous pas tous, tout au moins, quelqu’un qui peut dire un de ces non, qui peut se retrancher dans quelque fort intérieur ? Ne savons-nous pas, en traitant ou luttant avec nos semblables, qu’il y a presque chez tous un moment où l’on a touché le roc, où il ne faut pas essayer de percer plus loin, d’entamer plus profondément ?

Et si çà et là nous trouvons des efforts commencés vers le bien, si souvent nous apercevons des têtes froides que nulle affection ni désir ne fait dévier de la voie marquée par leurs calculs, ordinairement égoïstes, le poète ne pourra-t-il tracer ce que la nature jalonne, réunir ce qu’elle sépare, réaliser ce qui reste puissance ou rêve, donner la plénitude de la vie à ce