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CORNEILLE.

On pourrait se demander si ce n’est pas une illusion qui nous fait croire que les grandes passions sont plus dans la nature que les grandes volontés. En réalité, il n’y a peut-être pas beaucoup plus de gens capables de tout sacrifier à l’amour — devoir, honneur, intérêt, famille, ou simplement les commodités et les habitudes de la vie — qu’il n’y en a de capables de sacrifier l’amour. La vérité commune, ce n’est pas Oreste, c’est l’amoureux de la Petite Marquise. Mais il nous semble pourtant qu’il y a plus de gens qui tombent, qu’il n’y a de gens qui montent. C’est peut-être qu’il nous est plus agréable de voir les premiers que les seconds ; et nous cherchons plus patiemment ce qui rapetisse les grandeurs que ce qui relève les défaillances.

Peu d’idées, une ou deux passions sans tendresse, converties en raison et rédigées en maximes, la sereine conviction de bien faire en donnant le moins possible au sentiment dans la conduite, cela sans doute peut se rencontrer chez nous. Mais si le fanatisme froid, l’égoïsme sec, qui se raisonnent et s’autorisent, sont des choses dont la réalité ne saurait guère être contestée, il en est autrement de l’héroïsme, du sacrifice de soi, si sûr, si calme, si exempt d’hésitation, de repentir et d’angoisse : c’est cela à quoi l’on ne croit point.

Cependant le principe de l’héroïsme cornélien est un principe réel, naturel. Nous avons des moments de lucide conscience, nous avons des velléités de bien faire. Nous combinons sans exécuter autant de bonnes actions que de coquineries ; et nous croyons très bien que, si nous voulions, nous ferions les unes